jeudi 1 novembre 2018

Fucking méditation. Charité





Cette méditation sera irrévérencieuse mais pas à charge. Elle est inspirée et en partie nourrie par une expérience de cinq ans à l’accueil social d’une organisation caritative. Je ne la cite pas car mon propos ne la concerne pas. Le bénévolat caritatif, par le contact qu’il suppose avec des personnes ou des familles qui vous confient leurs problèmes d’argent et souvent aussi leur détresse ne laisse pas de marbre. On sort souvent ébranlé d’une matinée passée à entendre des personnes dans le besoin, certaines dignes, d’autres qui craquent, des malades, parfois mentaux, des personnes handicapées, des personnes addicts à l’alcool ou à la drogue, des familles avec des enfants, quelquefois beaucoup d’enfants, des sans domicile, des personnes sous tutelle ou curatelle, des demandeurs d’asile de toutes origines, des personnes en situation irrégulière, d’ancien salariés en pleine dégringolade sociale, quittés par leur conjoint(e), virés de leur logement, incapables de payer les études de leurs enfants, des personnes âgées, isolées, impotentes, vivant avec une retraite minuscule, des endettés jusqu’au cou, des personnes qui font tout pour s’en sortir, d’autres qui nagent comme des poissons dans l’eau dans le système d’aides sociales et le réseau caritatif pour en tirer tous les avantages, qui tentent de vous flouer pour mieux obtenir une aide qui ne leur est pas indispensable, des musulman(e)s qui affichent des comportements communautaristes, des personnes polies, des gentilles, des agressives, ... J’en oublie.

Bien sur on garde de la distance, on tente de ne pas se laisser ébranler mais surtout on se pose des questions. Qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi me suis-je investi dans une mission caritative ? Faut-il être mu par la religion pour aider des personnes dans le besoin ? Mêmes questions sur mes collègues. La charité qui passe par des institutions dédiée est elle moins humiliante que la charité directe ? Pourquoi faut-il encore de la charité dans un pays développé qui a mis en place une foule de mesures d’aides sociales ?  Comment être équitable ? Comment ne pas être trop empathique ou comment ne pas perdre son empathie ?  deux volets d’un même dilemme. Toutes ces questions, qui sont en fait existentielles méritent bien une fucking méditation pour éprouver la difficulté et les ambiguïtés de la relation entre des humains qui volontairement se mettent en position d’aider et des humains qui sont réduits à demander de l’aide pour assurer leur subsistance.
1-Le plus grand péché est le manque d’amour et le manque de charité (Mère Térésa, un pensée par jour)
En préalable je cherche la définition du terme charité. Compte tenu du caractère somme tout superficiel de cette méditation je me contente de farfouiller sur internet via l’incontournable Google. Allons y, je tape «charité définition». Voilà brut de décoffrage ce que j’ai trouvé. Les premières lignes des définitions des cinq premiers items référencés donnent matière à méditer.

https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/charite Charité Amour des autres.«Faire la charité»
Dans la théologie chrétienne, amour de Dieu et du prochain comme créature de Dieu : La Foi, l'Espérance et la Charité sont les trois vertus théologales.
Acte charitable, bienfait ; faveur : Vivre des charités des autres. Faites-moi la charité de m'écouter.
Principe de lien spirituel, moral qui pousse à aimer de manière désintéressée. Que charité soit synonyme d'amour, tu l'avais oublié, si tu l'avais jamais su (Mauriac, Le Nœud de vipères,1932, p. 111).
Vertu spirituelle qui est l'amour parfait venant de Dieu et dont Dieu est l'objet, lien d'unité intime entre Dieu et les hommes, créatures de Dieu :
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/charité/14766
1- qualité portant à vouloir le bien d'autrui, à désirer l'aider  
2-  secours apporté à autrui  

Dans le langage ordinaire, la charité est une vertu qui porte à désirer et à faire le bien d'autrui. Elle rend donc service aux gens. C'est donc un acte inspiré par l'amour du prochain. Dans le langage des théologiens, elle désigne à la fois l'amour de Dieu pour lui-même et du prochain comme créature de Dieu. La première encyclique du pape Benoît XVI s'intitule ainsi Deus caritas est (« Dieu est amour »), en référence à la Première épître de Jean. La charité est en outre définie comme l'une des trois vertus théologales du christianisme (aux côtés de la foi et de l'espérance).
https://www.littre.org/definition/charité
· 1-Amour du prochain
· 2-Acte de bienfaisance, aumône.
· 3-Les frères, les sœurs de la Charité, congrégations qui se vouent au soulagement de la misère.
Eh bien voilà qui est édifiant.. Nous voilà bien avancés. Est-il bien sérieux de définir la charité comme l’amour du prochain ? Les dictionnaires, et en particulier les monuments que sont le Larousse et le Littré et Wikipédia, la fameuse encyclopédie collaborative, nous engluent tous dans une rhétorique religieuse chrétienne, à croire que la charité n’existe pas dans le monde laïque. S’il fallait prouver que l’on baigne dans une solution hautement concentrée d’à priori et d’idéologie chrétienne cette recherche sommaire y suffirait.
Nos sites de référence ne prennent pas de distance, tous nous renvoient aux trois vertus théologales du christianisme à côté de la foi et de l'espérance. Sans aucun doute le sens moral (un être vertueux) ou pratique (vertu d’une plante) découlent en droite ligne du sens religieux. Je suis prêt à le croire.
Pour ce qui est de l’amour du prochain. Si on peut concevoir que l’amour du prochain peut être pour certains un ressort de l’acte caritatif, on ne peut en aucun cas l’y réduire. Autant dire que la charité est «bonne conscience» «supériorité» ou «inégalité» C’est absurde ! Concédons que l’amour peut-être un ressort de la charité, mais pas la charité elle même . Les croyants de toutes les religions ont tendance à avoir l’amour facile, tout au moins en paroles.C’est fou combien l’étymologie peut peser sur le sens des mots.
Le mot « charité » est la francisation du latin caritas, -atis, signifiant d'abord cherté, puis amour. La charité est une vertu. Tiens donc. J’ignore si, en dehors des vertus des plantes, du soleil ou de la pluie, quand il s’applique à l’homme, le terme vertu peut être laïcisé.
2-«Que la charité fasse ce que la justice ne saurait faire» (Frédéric Ozanam fondateur de la société Saint Vincent de Paul)

De toute évidence la charité à fait l’objet d’un hold up par les religions en quête de rédemption pour leurs adeptes. La Révolution et les lumières sont quand même passés par là et en fouillant un peu plus loin dans les réponses de Google on trouve des définitions laïcisées.

Philo pour tous : «D'après l'idée que l'on s'en fait généralement, la charité consiste à donner quelque chose à quelqu'un, sans attente de contrepartie, selon une pure "bonne volonté  l'image la plus commune, pour l'illustrer, est le don d'une pièce à celui qui tend la main dans la rue.»

Illustrer la charité par l’exemple de l’aumône, parait bien réducteur. De vertu la charité est devenue volonté, enfin «bonne volonté». L’exemple de l’aumône et le terme de bonne volonté montrent bien la pollution religieuse de nos esprits. Cet article soulève quatre questions.

Les motivations d’abord : «il est possible que ces motivations ne soient pas toujours "pures"  ne s'agit-il pas, derrière un désintéressement apparent, et peut-être même de façon inconsciente, de gagner une image positive de soi-même, voire un sentiment de supériorité par rapport à autrui ?» 

La perception par les bénéficiaires : «on peut craindre que celui qui bénéficie de la charité ne soit traité de façon profondément humiliante, dans la mesure où il se trouve à la merci du bon vouloir des autres ; sa situation n'implique-t-elle pas une forme de servilité, incompatible avec sa dignité de personne humaine ?»

La Justice n’est-elle pas préférable ? «Si la charité n'est effectivement que cela : elle est, au mieux, un substitut imparfait de la justice. L'idéal serait qu'elle soit remplacée toujours et partout par celle-ci, et que la satisfaction de nos besoins soit un droit, défini et assuré par les institutions publiques, plutôt qu'une simple possibilité soumise aux aléas des volontés individuelles»

Au delà du droit la charité : «l'attitude qui consiste à donner à l'autre ce dont il a besoin, mais à quoi il ne peut pas avoir droit. Considérée ainsi, ne serait-elle pas, tout à la fois, irremplaçable par la justice, exempte de la recherche d'un intérêt caché pour celui qui l'effectue, et dépourvue d'humiliation pour celui qui en bénéficie ?»

Dans une société «juste» qui garantirait à chacun un droit à satisfaire ses besoins essentiels, il existerait un au delà, constitué d’une foule de besoins immatériels : estime, pardon, chaleur humaine, réconfort, espoir qui offriraient un champ inexploré pour la charité.

Pardonnez moi mais on n’a pas avancé d’un iota. Pas avancé sur le plan terminologique on nage dans un bain idéologique et lexical judéo chrétien dont il est semble impossible de s’extraire.

Le terme de charité est connoté par ses origines religieuses et des pratiques narcissiques. On préférera aujourd’hui parler d’aide, d’assistance, de solidarité, de secours, voire de philanthropie, de bienfaisance. Curieusement ces termes, comme le mot charité, renvoient toujours aux qualités de l’aidant, de façon plus discrète mais impitoyable. Mis à part le mot aide qui est le plus neutre. Tous les autres renvoient à des qualités de l’aidant. Aider les pauvres et le faire bénévolement, c’est flatteur, c’est valorisant, ça donne bonne conscience, et en plus c’est conforme, oh combien, avec les préceptes religieux.

3- «Le sage sait que plus il donne aux autres, plus il a pour lui même» (Lao Tseu)

Mes collègues de l’accueil social, tous retraités, tous croyants et même pratiquants sont des personnes gentilles, le cœur sur la main et de bonnes compagnie. Tolérants parce qu’aucun n’a jamais trouvé à redire sur la présence parmi eux d’un non croyant. Je ne m’en suis jamais caché. A mon arrivée ils se sont assurés que la présidente était bien au courant. Elle l’était, parce qu’elle m’avait, sans ambages, posé la question. Je lui ai répondu franchement. Et tout aussi franchement elle m’a répondu qu’elle n’imaginait pas qu’on puisse vivre sans croire. Elle n’a pas fait obstacle à mon recrutement qui prouvait sa largesse d’esprit. Il faut dire par ailleurs que j’avais la caution morale, d’un ami de longue date, très croyant, qui depuis longtemps m’avait réservé une place dans cette organisation, pour le temps de la retraite.

Depuis longtemps je me disais que quand j’aurai du temps j’en consacrerai une partie à aider ceux qui avaient besoin. Je voulais le faire comme bénévole de base, discrètement. En aucun cas je ne voulais entamer une nouvelle carrière dans le bénévolat et n’y recherchais aucune reconnaissance. J’ai une méfiance envers les individus toujours avides de responsabilités et surtout de la reconnaissance sociale qui va avec. Mes collègues de l’accueil social sont tous désintéressé, ils font le boulot, rentrent chez eux et ne courent ni les honneurs ni la reconnaissance, même pas celle des personnes qu’ils aident.

J’ai eu beaucoup de plaisir à les côtoyer et ils ont même changé ma manière d’apprécier mes semblables. Depuis mai 1968,  ma jeunesse étudiante, et les manifs contre la loi Debré, je suis de gauche. Ça me fait drôle de l’écrire, mais je ne l’ai jamais caché, j’ai toujours voté comme ça, lu des journaux et des magazine de gauche, et même un temps j’ai adhéré au parti socialiste. Du coup mes fréquentations étaient de gauche, je pouvais à la rigueur tolérer quelqu’un de droite, certainement pas m’en faire un amis et je n’avais même pas à rejeter les fachos du front national, toute ma vie me tenait naturellement loin d’eux.

Bien que nos convictions politiques n’aient jamais été mises sur la table lors de nos conversations, je pense, d’après les opinions exprimées sur l’actualité ou lors des débats inhérents à nos missions, que l’éventail des opinions politiques, était représenté dans notre petite équipe, de la gauche modérée à la droite, presque extrême.

Mon premier sympathisant d’extrême droite je l’ai rencontré à l’accueil social. Lecteur de Valeurs Actuelle, inconditionnel de Eric Zemmour, effrayé par l’immigration, honnissant l’islam. En plus c’était mon binôme et nous accueillons ensemble les «demandeurs». Excusez le terme, mais c’est comme ça qu’on les appelle. Cet homme anti immigration, critique acerbe de la politique migratoire du gouvernement et de l’argent dépensé pour les immigrés; anti islam, anti mariage pour tous, anti gouvernement a toujours reçu, les arabes, les personnes gay, les drogués, les malades mentaux, avec la plus grande gentillesse. Je l’ai vu rendre service spontanément, pour aller déménager un frigo du troisième étage d’un immeuble, en prêtant sa voiture et ses bras. Il a hébergé des demandeurs d’asile Arméniens, plutôt louches, pendant des mois. Ce paradoxe m’a beaucoup interrogé. Des certitudes tombaient. Je décidais alors de modifier ma grille de lecture de la société en remplaçant les qualificatifs bien pour gauche et mal pour droite par, bien pour qui a du cœur, mal pour qui n’en a pas.

Bien sur j’avais encore tort, c’est heureusement plus compliqué. Chaque personne est un cocktail de valeurs, de qualités et de défaut, qui fait qu’on p²eut ou pas les aimer. A moi d’apprécier ou non la saveur de chacun.

2-«Dieu a dit : je partage en deux, les riches auront la nourriture, les pauvres de l’appétit» (Coluche)

Au nom de la devise républicaine dont l’égalité est une valeur fondatrice, notre société a accompli et accomplit encore des efforts de justice. Il faut, bien sûr les reconnaître. Quels que soient les efforts, de tous temps et en tout pays, la justice sociale, aussi poussée soit-elle, laisse sur le carreau un certains nombres de personnes laissées pour compte pour lesquels la seule solution est la générosité qu’elle soit individuelle ou institutionnelle.

Prétendre que plus de justice sociale réduirait la charité à une pratique désuète c’est feindre d’ignorer que, aussi juste soit-elle, aucune société n’a résolu le problème de la pauvreté.  Même si dans la France d’aujourd’hui la pauvreté n’a rien à voir avec celle du moyen age ou de celle qui est si répandue dans de nombreuses régions du monde, la pauvreté existe toujours et elle revêt cent visages. Le paradoxe dans notre pays qui assure au plus grand nombre, à grand frais pour les contribuables, un revenu minimum, c’est qu’avec les minimas sociaux on est pauvre, pas misérables, simplement pauvres. A pauvreté nouvelle, charité nouvelle.

Il ne faudrait pas, au nom de la générosité, s’accommoder d’une société inégalitaire ou la générosité serait l’affaire des nantis et la reconnaissance celle des pauvres. La charité personnelle est porteuse de bien trop d’ambiguïtés.

L’intervention d’organisations caritatives dans le processus atténue, je dis bien atténue et pas annule, les trois connotations négatives de la charité.

-Son caractère religieux. Pour certains avoir du cœur est un précepte religieux plus qu’une morale personnelle. Cependant de nombreuses organisations caritatives sont confessionnelles (y compris musulmanes ou juives)

-Son caractère humiliant pour les bénéficiaires. Si elle n’est pas un droit, l’aide est moins humiliante si elle est accordée selon des règles d’équité par une institution et non plus au bon vouloir d’un individu.

-enfin son caractère flatteur pour le donateur ou le bénévole  

La charité est donc de moins en moins directe, elle ne passe plus par une relation de personne à personne. Toute une nébuleuse d’associations s’efforce de combler les lacunes de notre société en matière de lutte contre la pauvreté. Les dons d’argent, de nourriture, de vêtements ou autres biens matériels ne sont plus directs, des organisations souvent des associations, les restos du cœur, la croix rouge, la société Saint Vincent de Paul, les banques alimentaires, le secours populaire et le secours catholique procèdent à des collectes de fonds, de produits alimentaires ou de vêtements en lançant des campagnes de dons et des appels aux legs très médiatisés. Ils se chargent ensuite d’en assurer la répartition entre les  bénéficiaires finaux ou des intermédiaires sur le terrain.. Les dons d’argent restent anonymes et le don de temps par les bénévoles se fait dans le cadre de processus qui s’inspirent des méthodes administratives.

Les bénévoles sont en contact avec les bénéficiaires mais n’engagent pas leurs propres deniers. Ils ne donnent que du temps. La charité aujourd’hui ne consiste plus seulement à donner de l’argent ou des objets utiles, mais à donner du temps.

Le bénévolat reste une manière charitable de donner aussi valorisée que valorisante. Il n’est pas exempt des ambiguïtés de la charité directe. La sincérité de l’engagement s’accompagne souvent de motivations spirituelles ou plus terre à terre. Les croyants, toutes opinions politiques confondues, constituent, selon moi, plus grand contingent de bénévoles on trouve ensuite des non croyants de gauche au nom d’une morale de l’égalité

Plus terre à terre sont les motivations de certains retraités qui ont tellement peur du temps vide que le bénévolat est pour eux une opportunité plus qu’une contrainte. Ils y trouvent une occupation qui n’est pas une simple distraction et a l’avantage d’être conforme au sens qu’ils veulent donner à leur vie. Ne croyez pas qu’enter en bénévolat est toujours chose facile. Il faut se faire parrainer, montrer pâte blanche. Certains bénévoles en poste défendent leur poste contre la concurrence de nouveaux arrivants. Je souligne que par deux fois j’ai employé le mot «certains». Le bénévolat recouvre une multitude de situations aux motivations complexes. La plupart des bénévoles ne recherchent ni visibilité, ni reconnaissance. Leur conscience, morale ou religieuse est le seul moteur. Ils n’attendent rien en retour ni des bénéficiaires, ni de la société.

Notre société laïque s’est dotée d’organisations associatives ou autres qui portent les actions charitables en leur donnant un cadre réglementaire. Les bénévoles peuvent y exercer leur générosité avec un minimum de contour narcissique.Il ne faut pas que l’arbre des quelques individus que le narcissisme pousse à rechercher des titres et de la reconnaissance cache la forêt de ceux qui sont en tous points désintéressés. 

Notre propos est de méditer sur l’aide aux pauvres, appelons les, si vous voulez «les plus démunis». Je me rend compte que je traîte un sujet si délicat qu’il est impossible d’en parler en terme neutres. Le vocabulaire se construit et évolue en fonction de l’image que la société veut donner d’elle même en aidant ceux qui disposent de ressources insuffisantes pour vivre correctement. J’allais dire «dignement», Le terme était tentant, mais trop connoté, je l’évite donc. Les mots sont choisis pour dissimuler une double honte, en premier lieu celle d’avoir des pauvres dans un pays riche, en second lieu celle de trouver une satisfaction personnelle à les aider. C’est parce qu’une partie des hommes sont pauvres que d’autres exercent leur bonté.

5-On met un pognon dingue dans les minimas sociaux et les gens sont toujours pauvres (Emmanuel Macron)

Dans la perspective de la préparation d’une loi sur la pauvreté, le président de la république a prononcé cette phrase un peu brutale qui a fait polémique. Pourtant le diagnostic est juste. C’est un constat et un sujet de discutions permanent à l’accueil social. Dans un soucis d’équité nous examinons les ressources des personnes qui nous demandent l’accès à l’aide alimentaire. Force est de constater que la quasi-totalité des demandeurs bénéficient de ressources publiques.

Qui pourrait penser que les aides sociales peuvent faire des riches. Comme leur nom l’indique il s’agit de minima qui permettent juste d’échapper à la misère et à l’exclusion sociale. Les plus connus sont le RSA (550,93€) (revenu de Solidarité Active) pour permettre à des personnes d’échapper à la très grande pauvreté, la prime d’activité qui permet aux bénéficiaires du RSA d’accéder à des emplois sans perte de revenu, l’ASS (16,48€ par jour) (Allocation de Solidarité Spécifique) pour les chômeurs de longue durée ayant épuisé leurs droits à l’assurance chômage, l’AAH (860€ au 1er novembre) (Allocation Adultes Handicapés) pour les personnes handicapées, l’ASPA (833,20 max) (Allocation de Solidarité Personnes Agées) auparavant, minimum vieillesse, pour les personnes agées n’ayant pas ou peu de droit à une retraite. On peut y ajouter l’ADA  (6,80€ par jour)(Aide aux demandeurs d’asile)
Les montants sont donnés pour une personne.

Les familles avec enfants bénéficient également des allocations familiales, comme toutes les personnes résidant en France, mais modulées en fonction du revenu. (Allocation familliale, allocation forfaitaire, complément familial, Allocation de soutien familial, et quelques autres plus spécifiques.

L’APL (Aide Personnalisée au Logement) calculée en fonction du revenu aide les plus modeste à payer leur loyer ou à accéder à la propriété.
Outre les prestations il existe aussi un accès dérogatoires à l’assurance maladie pour les non cotisants la CMU (couverture maladie universelle et pour certains étrangers l’aide médicale de l’Etat.

La tentation est de penser que la société a déjà fait son travail. Bien des familles s’en contentent, pourquoi aller au delà. Pourquoi ne pas se limiter à n’aider que les personnes pour lesquelles les prestations ne sont pas versées ou interrompues, ou bien ceux qui doivent faire face à des charges excessives, imprévisibles ou involontaires. Notre règle est de n’aider que lorsque le reste à vivre dans une famille est de moins de dix euros par jour et par personne.

Bien conscients que notre soucis de justice dans la charité, nous amène à singer  l’administration, en établissant des tableaux excel et des dossiers remplis de photocopies de justificatifs nous compensons en personnalisant nos décisions. Pour ce faire une commission de tous les bénévoles discute de chaque cas. Discussions souvent passionnantes et passionnées dont la raison d’être était de ne pas laisser parler uniquement la logique des chiffres mais de donner une place au cœur. Ces discussions sont passionnantes et c’est sans doute elles qui m’ont conduites à cette fucking méditation.

Sous des formulations qui sont propres à chacun, selon sa sensibilité, nous avons souvent fait le constat que les aides sociales, sous toutes leurs formes, :constituent une charge énorme pour les finances des collectivités et de l’état,  pourtant les personnes qui les perçoivent sont plutôt pauvres, vraiment pauvres, en tout cas précaires. Le moindre accident de parcours, la moindre négligence, oubli d’une démarche ou endettement, les fait basculer dans la nécessité et l’incapacité de subvenir à leurs besoins.

A ce titre je voudrais dire que aide sociale et charité ne sont pas synonymes. L’aide sociale relève de l’action publique et son moteur est la justice. La charité intervient dans les champs laissés en friche par l’aide sociale et son moteur est la générosité, on pourrait dire aussi le cœur.

Il y a toujours eu des pauvres et sans doute y en aura-t-il toujours. La problématique caritative est d’aider les personnes en difficulté à s’en sortir, quelle que soit l’origine des difficultés. La problématique de l’Etat, c’est ce qu’a voulu exprimer Emmanuel Macron, est de mettre en place des mécanismes, une dynamique économique et sociale qui permettraient aux gens de s’en sortir. Il est bien légitime de ne pas se satisfaire d’une nation qui s’accommoderait de «pauvres de pays riches» que l’argent public et les services publics, en particulier l’école obligatoire, rendrait presque invisibles. On serait tenté de penser que mieux fera l’Etat, moins la charité sera nécessaire.


6-Les hommes politiques ne connaissent la misère que par les statistiques. On ne pleure pas devant les chiffres (Abbé Pierre)

La France dispose d’un système social qui n’a pas son pareil dans beaucoup de pays du monde. Ce n’est me semble-t-il pas provocant de dire que cela coûte très cher à un pays juste pour éviter la misère et le déclassement social d’une partie de la population qui pour une raison ou une autre n’a pas ou plus accès à l’emploi. Faciliter l’accès à l’emploi est donc bien le moyen le plus efficace de réduire la pauvreté et son coût social.

Toutes ces prestations sont payées par les Caisses d’allocation familiales, (sauf ASS et ADA) La quasi totalité des personnes qui viennent solliciter l’aide alimentaire présentent le justificatif de leurs prestations CAF.

Insuffisants pour certains, excessifs et ruineux pour d’autres, les minima sociaux font débats. Un débat exacerbé parce qu’il s’alimente des controverses et souvent des préjugés sur l’immigration. J’évalue à neuf sur dix environ les personnes d’origines étrangères qui viennent solliciter une aide alimentaire. Toutes ou presque disposent d’un justificatif de la CAF ou un justificatif de l’OFI (office français de l’immigration) pour l’aide aux demandeurs d’asile. Les bénévoles les plus charitables ne laissent pas leurs opinions à la porte de l’accueil social. Autant de situations autant de questions pas toujours politiquement correctes

La plus courante. Doit on apporter un supplément d’aide, en l’occurrence alimentaire, à une personne ou une famille qui bénéficie de toutes les prestations possibles de la part des pouvoirs publics ?

Que Penser de toutes ces personnes que l’idée de se former ou travailler, sauf parfois au noir n’effleure même pas. Leur vie s’organise autour des aides sociales et de toutes les opportunités de trouver de quoi vivre pour pas cher ?

Doit-on considérer comme circonstance aggravante ou circonstance atténuante le fait que si la personne ou la famille ne joint pas les deux bouts c’est, parce que le budget est mal géré, parce qu’elle s’est endettée au delà du raisonnable, parce qu’elle exhibe un smartphone ou des sneackers plus chers que les tiens, parce qu’elle possède une voiture, parce qu’elle rentre ou part en voyage au pays ? Autant de dilemmes.

Doit on juger sévèrement la politique d’immigration parce qu’elle accorde le statut de demandeurs d’asile, avec logement gratuit, et aide financière à des personnes qui n’ont quasiment aucune chance d’obtenir l’asile ? Je pense à des matinées ou nous avons accueilli quatre à cinq familles d’Albanais. Que dire d’une procédure qui dure, recours compris, plus de deux ans. Pendant ces deux ans les enfants scolarisés ont apprit le français et se sont intégrés et des bébés sont nés en France. Que dire si une fois tous les recours épuisés ces gens restent sur le territoire, théoriquement sans aucune ressources. Dépendant effectivement de l’aide de leurs compatriotes ou d’associations.

Que doit-on penser de femmes musulmanes qui, viennent voilées, ne s’expriment qu’en arabe et ne comprennent pas le français. Elles nous regardent avec condescendance et ne tolèrent pas un refus. Elles se connaissent entre elles et il serait difficile de ne pas voir qu’elle vivent dans une bulle communautaire sans volonté d’intégration. Elle viennent cependant chercher ce qu’elles considèrent comme un droit.

Notre morale et nos préjugés nous inclinent à la générosités plutôt envers ceux que la maladie, le handicap ou la vieillesse ont marginalisés, ceux que le chômage et l’éclatement de leur famille a fait dégringoler et qui se battent malgré les obstacles, ceux qui ont des enfants et que les enfants doivent bien manger et ne pas être humiliés.
Aider c’est entrer dans les entrailles de la société, s’orienter dans des systèmes administratifs complexes parfois généreux, parfois injustes, c’est rencontrer des détresses, être confronté à des humains si proches et si différents de nous. C’est apprécier sans juger. C’est essayer d’être justes et sans préjugés et pour ça il faut apprendre à être à la fois empathique et ferme. Cette mission ne laisse pas indifférent elle touche à la morale et aux valeurs.

On ne sort pas complètement indemnes des permanences face à un défilé de personnes de toutes origines, certaines sympathiques, d’autres gênée, honteuses d’être réduites à quémander, certaines agressives, quelques unes assommées par des médicaments, des dignes, des combatives, des résignées, des propres et bien vêtues, des négligées. Toutes sont contraintes de justifier de leur situation. Certaines le font avec franchise et sans émotions apparentes, d’autres devant des oreilles bienveillantes déballent tout, impossible de les arrêter. Quelques unes craquent et fondent en larme, il faut tirer les vers du nez à celles qui ne comprennent pas pourquoi on veut tout savoir pour un peu de nourriture. Pour celles qui ne parlent pas le français on improvise en anglais, en espagnol, quelques mots en arabe (moi) en russe (mon collègue) on lance google traduction en albanais sur un smartphone. Il nous est même arrivé exceptionnellement d’être menacés. Nota : le féminin s’accorde au mot personnes.

On échange entre bénévoles, chacun s’exprime et agit en fonction de sa sensibilité, de ses idées politiques, de ses croyances, de ses préjugés aussi. Ce qui nous réunit c’est l’empathie et le soucis de justice, mais aussi nos interrogations sur notre manière d’agir et même notre utilité réelle.

Avec le temps guette l’usure. L’empathie et le désir de d’être utile ont guidé nos premiers pas. Paradoxalement l’expérience est contre-productive parce qu’elle émousse l’élan généreux qui nous avait motivé.

Mieux on connaît les systèmes d’aides sociales et d’intégration plus on devient critiques vis à vis des pouvoirs publics. De plus, connaissant les failles du système on s’interroge sur notre place et notre rôle. Dans un premier temps on a l’impression d’être mieux armés et moins naïfs pour décider de qui mérite ou pas d’être aidé, on écoute avec plus de distance, ensuite on devient soupçonneux vis à vis des demandeurs qui profiteraient des failles du système pour obtenir une aide indue. La méfiance remplace la bienveillance.

On plaide plus souvent pour des refus. Nos dirigeants nous engagent à limiter les accès à l’épicerie solidaire parce que la collecte d’aliments auprès de la banque alimentaire diminue. Il nous est demandé de refuser plus souvent, de limiter la durée des droits d’accès à six mois par an, de tenir compte du comportement à l’épicerie, d’être plus vigilants à l’égard des demandeurs d’asile. Ces demandes entraînent des discussions sans fin entre bénévoles parce qu’on veut rester justes. Finalement notre manière d’agir se rapproche de celle de l’administration.

Les demandeurs passent des exigences de l’administration aux exigences des organisations caritatives. Entretiens, justificatifs, tableaux excell, reste à vivre, remplacent la générosité. . Le désir de justice sape le fondement même de la charité : l’empathie

On croit cependant à cette manière adminitrative et comptable d’agir mais on y perd petit à petit son âme. On se réveille un jour ou la subjectivité, un élan du cœur, pousse à passer outre les fiéfées règles et à dire oui quand même. On se fait remonter les bretelles et c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase..

Ce jour là, je suis parti. Je suis parti parce que je n’ai pas supporté de m’être endurci. La charité ne va pas sans la honte qui lui est consubstantielle aussi bien pour l’aidé que pour l’aidant. Vous venez de lire la fucking méditation que m’a inspiré cette expérience. Ceci dit je n’ai rien de mieux à proposer. Simplement j’ai appuyé sur le bouton pose.

Le 1er novembre 2018

  








 



mercredi 3 octobre 2018

L’été en espadrilles



Je devais avoir moins de dix ans. Aux premiers jours des vacances d’été, à Marvejols, ma grand-mère m’achetait des espadrilles en toile à semelles de corde chez un marchand de chaussures, qui faisait habituellement les marchés, mais avait une boutique, sur la grande place de Marvejols; Ces espadrilles sont traditionnelles dans de nombreuses régions des Pyrénées, du Pays Basqueet la Catalogne. Ma grand mère était d’origine Catalane. Ceci explique sans doute cela.

Ainsi chaussé pour quelques semaines, je pouvais la suivre sur les chemins et sentiers de campagne, mais pas avant d’avoir soumis les espadrilles neuves à une opération sensée les rendre inusables ou peut-être simplement imperméables. Il s’agissait de trouver sur une route une plaque de goudron fondue au soleil brûlant et de marcher dedans pour en imbiber la corde des semelles. La poussière des chemins et les kilomètres parcourus auraient pour mission d’enrober le goudron. Je m’en souviens comme d’un rituel odorant .

Soixante ans après, lors d’une courte villégiature la personne qui m’accompagnait m’a offert une paire d’espadrille catalanes. Je les ai longuement choisies afin qu’elles tiennent toujours aux pieds quand la toile serait distendue.

C’est donc en espadrilles que je vais passer l’été de mes soixante neuf ans. J’en ai déjà usé de nombreuses paires tout au long de ma vie, presque une par an. Chacune m’a ramené à ce moment d’enfance tatoué dans ma mémoire. A l’instant ou j’écris ces lignes je porte les «2018» . Nous voilà donc au présent.

Au moment de mon départ à la retraite, il y a quatre ans déjà, à la suite du discours prononcé devant mes collèges lors de mon pot de départ, je m’étais fixé une ligne de conduite pour aborder ma vie future. J’émergeais d’une période compliquée. Un divorce tardif avait anéanti, à la fois mon sentiment d’invulnérabilité et l’idée, très conformiste, que je m’étais faite de l’avenir.

Le principe d’impermanence avait frappé. J’en ai retenu la leçon et renoncé à voir la vie non comme une construction planifiée, mais plutôt comme un chemin à l’horizon limité qu’il convient de parcourir dans la meilleure forme physique possible au long duquel tout peut advenir. Pas de carte, donc et pas vraiment de destination.

J’ai enfin compris également que la bienveillance, la gentillesse, le renoncement à l’hostilité et la vengeance avaient infiniment plus de chance de conduire au plaisir, à la joie, à l’amitié, et même à la santé et à l’amour que la méchanceté, la jalousie, l’intolérance, et la colère. Tel est mon sens un peu simpliste du Karma.

De l’énergie et de l’optimisme il en faut à ce tournant de la vie ou on doit se dépouiller, outre de sa jeunesse, de presque toutes les identités qui définissaient notre place dans la société. L’activité professionnelle prend fin. Les enfants devenus adultes s’éloignent. Le corps ne suit plus pour les pratiques sportives les plus exigeantes . En un mot c’en est fini les identités «de fonction». Dépouillés de ses personnages sociaux c’est face à lui-même et face au temps soudainement libéré que le retraité se présente pour la dernière ligne droite de la vie..
  
Au moment du coup de sifflet final de ma vie professionnelle, j’ai coché toutes les cases «fin» de ce qui faisait ma vie. Le mariage explosé, les enfants partis, la grande maison avec son jardin, vendue, les centaines de livres et de vinyles accumulés au fil des ans, dispersés; il ne s’agissait pas pour moi de continuer, mais de repartir.  

Aucune amertume dans ce constat. J’ai même fini par ressentir ces dépouillements comme un allègement, une sorte de feng shui intégral. Il restait l’essentiel, mes enfants et petits enfants, un petit appartement que j’ai fait aménager à mon goût. Et surtout la santé et une inépuisable énergie dans laquelle j’ai trouvé le désir d’optimisme. J’en suis convaincu l’optimisme au même titre que le désespoir sont des choix.

Pour mes enfants, pour tous ceux qui de près ou de loin me côtoient, j’ai choisi de faire envie. L’expérience de ma mère qui avait fait le choix d’inspirer la pitié et a pourri la fin de sa vie et celle de ses proches, a nourri mon inclinaison vers la joie.

Je me suis déjà exprimé sur mon choix de vie. Celui d’avancer libre avec toute l’énergie que cela suppose, celui de profiter du présent en mettant en place les qualités personnelles et relationnelles qui rendent le présent heureux. Pas de plan donc, pas d’objectifs, juste des règles de vie.

Je reprends le clavier aujourd’hui pour m’exprimer sur le constat suivant. Il y a peu de temps je ne connaissais pas, ou j’avais un intérêt limité pour des activités qui sont devenues centrales aujourd’hui. Et pourtant elles ne sont pas le fruit d’une remise en question. Elles ont émergé dans la continuité de ma vie. Je n’ai en rien dérivé du projet que je m’étais donné.

Ma vie est une illustration parfaite de l’impermanence, en ce sens qu’a cessé ce qui paraissait immuable et qu’est advenu ce qui était inimaginable. Ce qui advient est parfois tellement beau que j’en vient à me réjouir et à remercier le destin de m’avoir soumis à ce qui, un temps, semblait un irréparable malheur.

Je voudrais consacrer l’essentiel de ces lignes à relater trois orientations imprévues de ma vie, mais auparavant un court bilan s’impose sur ce que j’appellerai les fondamentaux.

Famille mondialisée

Je vis seul, c’est un fait et d’une certaine manière un choix. Pour des raisons, déjà expliquées, je n’ai pas cherché à rencontrer une compagne pour partager ma vie. J’ai choisi la voie exigeante de la liberté. Je dois dire que nous sommes de plus en plus nombreux, femmes et hommes de tous ages, à rejeter le cliché éculé du couple censément protecteur.

Mes enfants ont choisi de s’installer loin de Montpellier.

Elsa et ses deux enfants, Amaury et Cassy, habitent à Nouméa en Nouvelle Calédonie. On ne fait pas plus lointain. Je dois dire que son choix m’a donné l’occasion de faire de beaux voyages que je n’aurais certainement pas fait sans ça. De séjour en séjour, et grâce à la magie de skype je ne ressens aucune frustration en tant que père et grand père.

Agnès poursuit de longues et savantes études à Montréal. Elle a depuis longtemps fait le choix de s’éloigner. Les transports aériens sont aisés de nos jours et Montréal est une ville fort agréable ou je fais de temps en temps un séjour.

Laurent et ses trois enfants Max Oliver et Nils, ont, après avoir longtemps vécu en Afrique, posé leurs valises en Bretagne ou ils ont acheté une maison. Je viens d’accueillir Max et Oliver pendant une semaine de cet été en espadrille.

Vraiment, le cliché de la famille intergénérationnelle rassemblée non loin du caveau familial a vécu en tant que modèle. Je me considère comme le précurseur de la famille mondialisée. En tout cas je n’ai ni souffrance, ni amertume. Méthode Couet ?  

Court bilan

Je suis toujours bénévole à l’accueil social de la société Saint Vincent de Paul. J’y consacre deux matinées par semaine. Je fais partie d’une petite équipe de bénévoles, tous retraités, tous croyants. Nous constituons  les dossiers et décidons du droit d’accès de personnes ou de familles à l’épicerie solidaire de notre structure. A ce titre nous recevons toute sorte de publics dont les ressources sont insuffisantes pour se nourrir correctement : immigrés, bénéficiaires des minimas sociaux, accidentés de la vie, personnes âgées.

Il s’agit d’une belle mission, sans aucun doute utile, cependant je suis souvent en interrogation. Le contact avec des personnes maltraitées par la vie, dont la pauvreté s’accompagne soit de fatalisme, soit de problèmes mentaux, rarement de révoltes est émotionnellement éprouvant.

Ce qui m’interroge et me fait douter de mon engagement, c’est que, de plus en plus souvent, l’empathie douloureuse, flatteuse pour l’amour propre, laisse place à de l’indifférence, voire de la froideur et même du doute. J’en arrive à penser que certains ne veulent pas s’en sortir et profitent au mieux des aides publiques ou associatives. Pour les migrants les situations sont tellement paradoxales que j’oublie parfois les hommes pour fustiger le système.  

Dans notre société ou des idéologies mortifères gagnent du terrain, j’ai du mal à faire la part entre empathie et bon sens politique. Je sais que dans une mission bénévole l’humanité ne se discute pas. Je suis donc déchiré et tenté cesser ce bénévolat. Ma décision n’est pas prise. Je la diffère à la rentrée de septembre

J’ai cessé d’enregistrer des livres pour les mal voyants. J’ai commencé par une mini rébellion à l’encontre de l’association les donneurs de voix dont les responsables régionaux étaient figés dans un immobilisme prétentieux mais sans ambition. Certains ont besoin, même à un age très avancé besoin de titres. J’ai enregistré de la poésie et du théâtre dont il m’a été dit qu’ils n’intéressaient personne. Par ailleurs les livres audio ont pris sur le marché une place importante. Dans ce domaine, comme dans bien d’autres la technologie a modifié la donne.

Pour ce qui concerne l’apprentissage de l’anglais j’ai renoncé par paresse. J’ai depuis deux ans cessé mon adhésion à l’Université du tiers temps dont les conférences, y compris sur la philosophie ne correspondaient plus à mon attente. Ceci ne veut pas dire que j’ai perdu tout intérêt pour la philosophie. Mes choix de lecture m’y ramènent souvent.

Je n’envisage pas de vivre sans pratiquer le tai chi, le qi gong et la méditation. Je suis convaincu des bienfaits multiples de ces pratiques sur la santé et sur le moral. J’y trouve la souplesse du corps, la fluidité des mouvements et la fierté de la posture qui j’en suis certains sont gage de longévité. J’y trouve aussi la capacité d’apaiser mon esprit, la patience, l’écoute et une aptitude à la bienveillance active. Celle qui permet d’accepter ce qui arrive tout en accumulant une réserve d’énergie pour l’action. Je suis détenteur d’une partie des secrets du ying et du yang qui m’aident à mieux conduire ma vie en espadrille.

J’ai failli oublier de dire, et c’est révélateur d’un état d’esprit qui voudrait que hors du faire pas de salut. Apprivoiser le temps, c’est aussi apprendre à ne rien faire. C’est peut-être l’apprentissage le plus compliqué. Il faut du temps pour apprendre la lenteur. Flâner au petit déjeuner en écoutant la radio et en butinant sur internet, lire l’après-midi, faire une petite sieste. J’ai appris à passer des journées chez moi sans sortir juste en m’occupant aux taches ménagères, un peu de cuisine. Ces journées sont tranquilles et heureuses. Je ne les finis pas déprimé en geignant sur ma solitude. Ce sont des journées comme celles-ci, vides d’action, vides de compagnie que l’on souhaitait lorsque la vie nous imposait un rythme effréné.  Apprivoiser le temps c’est aussi apprendre à aimer le temps vide. Pas tout le temps bien sur. Juste pour ne pas reproduire à la retraite le modèle débordé, d’ailleurs souvent surjoué, de la vie active. Ils me font un peu pitié ces retraités éprouvent le besoin de se justifier en disant qu’ils n’ont pas une minute à eux. En quoi être débordé à la retraite serait gage de réussite. Pour ma part je suis attentif à ne pas trop en faire.

Sans entrer dans les détails parce que ma vie ne mérite pas une autobiographie, je veux faire partager le constat que les activités concrètes qui occupent mes journées et dans lesquelles je m’épanouis, ne procèdent pas d’une volonté et d’un projet mais d’une ligne de conduite qui transmute les hasards en opportunités.

Marche nordique, Je suis dispensateur d’endorphines

Au moment de mon départ en retraite je n’avais jamais entendu parler de la marche nordique. C’est parce que...au cours d’un voyage une personne fraîchement diplômée dans ce sport m’en a fait la publicité,... Parce que après mon retour j’ai fait une séance d’initiation avec elle et que ça m’a plu.... parce que je me suis associé à un groupe de pratiquants près de Montpellier.... parce que je m’y suis fait des ami(es)... que nous avons participé à de nombreux événements....parce que le groupe initial a pris l’eau et que je suis allé vers un club de Montpellier....que la coach était une athlète de haut niveau....qu’elle a immédiatement adhéré à mon idée lancée en l’air de passer le diplôme d’entraîneur....parce que je l’ai vraiment fait.... que je l’ai obtenu .... que depuis deux ans j’anime des groupes de marche nordique à Montpellier et que ça me plaît beaucoup.

Il suffit donc de rencontres bienveillantes, de hasards, d’envies, et d’un soupçon de détermination pour que en très peu de temps se construise un projet. Ce n’était  même pas un vieux rêve, seulement une envie cueillie au passage.

Il s’agit bien d’une activité qui, même bénévole, a socialement la même place qu’un métier. Je l’exerce avec le même sérieux. Je voudrais insister sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une occupation pour meubler le temps et se faire des amis, mais bien d’une activité à part entière avec ses engagements ses responsabilités et toutes les ramifications relationnelles, amicales et affectives dont certaines ont d’importantes répercutions sur la vie sociale et affective.

Il va bien falloir que tout le monde comprenne, surtout les intéressés, que le passage à la retraite n’est pas le passage infantilisant de la vie active à l’occupation récréative.

Je ne serai pas complet si je n’ajoutais pas que cette orientation inattendue de ma vie vers du coaching sportif a des effets plus que que bénéfiques sur ma santé. La pratique intensive d’une activité sportive raisonnable participe à l’hygiène de vie. Marche nordique et taï Chi que puis-je faire de mieux pour garder la forme ? En plus je fais du bien à beaucoup de gens et c’est quand même bien agréable de rendre les gens heureux. Je suis producteur d’endorphines !

Graffiti Lover et Cit’art guide

En quelques lignes je vais raconter comment je suis devenu guide street art sur la Gardiole pour l’association Line up qui regroupe les artistes de la scène graffiti de Montpellier.

Au début il y a Instagram. J’ai eu une brève liaison avec facebook, que j'ai quitté brutalement pour incompatibilité affective. Par contre je m’entends bien avec instagram. J’y suis présent sous forme d’une sorte de journal en image. J’y publie avec un commentaire en général bref et peu engagé, des photos, toutes prises avec un smartphone au fil de mes pérégrinations quotidiennes. Comme je suis plutôt curieux et que j’ai une tendance à voir le monde en image il faut que je me retienne pour ne pas publier plus. Ce qui fait sans doute de moi un «instagrammeur» compulsif. Au rythme de plusieurs images quotidiennes mon compte frôle au bout de trois ou quatre ans les quatre mille images. Mon compteur affichera bientôt mille «folowers» dont une petite centaines de véritablement intéressés.

C’est essentiellement des prises de vue du quotidien. Bien sur je m’attache aux angles de vue insolites, aux ciels, aux lumières, aux saisons mais je laisse leur place aux passants et à tous le bric à brac de publicités, de véhicules de poubelles et de graffitis. Et justement mon regard s’est petit à petit focalisé sur toutes les inscriptions, tags, graffitis, fresques, collages, pochoirs et autres formes d’expression laissés aux regards des passants de façon vandale ou autorisée dans l’espace public par de «petits voyous» ou des artistes confirmés.

J’ai appris depuis que bien des artistes confirmés d’aujourd’hui ont découvert leur vocation d’artiste, à l’adolescence, en échappant la nuit à la surveillance de leurs parents pour aller taguer les murs de leur quartier, puis de leur ville .

Mon intérêt pour le street art ne date pas d’hier; dans toutes les villes que je visitais j’ai toujours recherché et photographié les fresques que je rencontrais.

C’est tout naturellement que j’ai publié sur mon compte Instagram tout ce qui ressemblait à du street art à Montpellier et partout ou je passais.

Voici comment les choses se sont enchaînées.

-J’ai d’abord publié tout ce que je voyais et me paraissait digne d’une photo pas trop laide mais sans chercher ni noter le nom de l’artiste.
-J’ai participé à une visite guidée par l’office de tourisme de Montpellier sur le thème du street art. J’ai pris quelques notes.
-J’ai commençé à identifier les artistes et à les citer sous forme de hachtag #
-Les artistes qui avaient un compte instagram, (presque tous) se sont reconnus et ont «liké» et écrit un petit commentaire de remerciement.
-J’ai commencé à les suivre sur instagram ce qui m’a permis d’être informé des vernissages et autres live painting.
-je suis devenu assidu des vernissages et des festivals ou j’ai rencontré les artistes et aussi quelques instagrammeurs passionnés de street art.
-C’est dans la vie réelle et au contact des artistes, qui au demeurant et sans exception sont des personnes accessibles et d’une grande gentillesse, que j’ai acquis une petite culture du graffiti.
- J’ai acquis, à Montpellier, dans le monde réel, une petite notoriété. Les artistes apprécient ceux qui s’intéressent à eux et à leur art et participent à sa diffusion par les réseaux sociaux.
-C’est donc presque naturellement, que l’association Lineup a eu l’idée de mettre à profit mes compétences en matière d’accompagnement de randonnées et mon intérêt pour le street art pour faire découvrir à des groupes les citernes de défense contre les incendies de forêt, du massif de la Gardiole, peintes par des artistes.

Fort de mon intérêt pour les arts graphiques urbains et les contacts sympathiques, voire amicaux, établis avec les artistes j’ai commencé un blog intitulé «libres paroles d’artistes». L’objet est de les rencontrer pour un entretien que je retranscris et publie avec leur accord.

Cette histoire n’est, somme toute, qu’une très commune et très banale histoire de vie dont on peut cependant retenir quelques leçons :

Ce qui advient dans la vie procède plus de l’enchaînement de ce que je qualifierai de hasards déterminés que d’un projet initial. Les hasards déterminés sont les événements qui adviennent et s’enchaînent du seul fait de vivre selon ses inclinaisons et ses goûts.

Les réseaux sociaux sont incontournables aujourd’hui pour établir des contacts et être informé de ce qui se passe. Loin des idées reçues un réseau social n’est pas un monde virtuel dans lequel on s’isole, c’est une porte grande ouverte sur le monde et tous ceux qui partagent avec vous des centres d’intérêt et des passions.

La bienveillance est la clé de tout. La bienveillance et la confiance que l’on reçoit est la monnaie rendue sur celle que l’on offre. Rien de plus normal que les portes se ferment aux grincheux et aux calculateurs et s’ouvrent aux joyeux désintéressés.

La confiance en soit est indispensable pour aller de l’avant et traduire ses aspirations en actions.

Pour clore ces «stories» sur mes activités d’entraîneur en marche nordique et mon implication dans le monde du graffiti il parait utile de répéter que ce sont bien des activités au sens plein du terme, même si elles sont bénévoles et pas des «passe-temps». je voudrais en finir avec l’idée préconçue que au moment de la retraite on passe de la vie active, au mieux aux loisirs passe temps, au pire à l’ennui et à la solitude.

 S’il y a des messages dans ces lignes ce sont les suivants :

- la vie s’écrit en s’appuyant sur des valeurs plus que sur des projets.
-au départ de tout ce qui advient il y a une rencontres.
-pour qu’une rencontre soit fructueuse elle doit être bienveillante

L’amour m’a trouvé

Paragraphe réservé à la version privée de ce texte

Je remercie la vie et  même les déboires qui m’ont ouvert la porte d'un nouvel amour. Vivre sans amour est possible, mais seul l’amour donne une idée du paradis.

Les espadrilles ont été l’artifice qui m’a permis d’ouvrir un texte dont je ne savais pas trop ou il allait mener. Elles font aussi le lien avec l’insouciance heureuse de l’enfance. Offrir des espadrilles est une gentille attention dans un contexte heureux. Elles sont simples, confortables et décontractées, parfaites pour traverser les journées caniculaires de l’été. C’est d’un message de bonheur paisible dont je les ai investies.

Ceci étant dit, je me retire sur la pointe des espadrilles.

3 août 2018