Du Musée Fabre au faubourg Méditerranée
Line up et le Musée Fabre ont établi un partenariat pour organiser des visites en deux temps, une heure dans le musée accompagnée par une ou un médiateur (trice) qui introduira, en les commentant quelques œuvres du musée. On verra ensuite lors d’une visite du quartier de la méditerranée riche en street art que ces deux mondes apparemment si éloignés sont en fait reliés par de nombreuses thématiques.
Les œuvres choisies pour la visite du quartier Méditerranée permettront d’aborder une réflexion autour de quelques mots clés : Influence, hommage, transgression, collectif/crew, éphémère, conservation, œuvre, valeur .
Nos commentaires porteront sur ce que disent les œuvres et comment elles le disent à travers l’analyse de leur contenu et de leur support. Quel message ? quelle technique ? copie, original ? quelle influence ? Graffiti, Street art, qu’est-ce qui les différencie ?
-Quels messages ?
Les œuvres d’art, et c’est particulièrement vrai dans la rue, peuvent être en prise avec l’actualité, soit observatrices, soit parfois militantes. La pandémie, L’environnement, les violences faites aux femmes, la guerre et bien d’autres thèmes de société peuvent être abordés.
D’autres œuvres ont pour principale ambition de faire connaître au public l’univers esthétique personnel de l’artiste. Sont présents dans la rue des illustrateurs, des graphistes, des designers, dont la plupart travaillent sur tablette graphique ou ordinateurs avec des outils de DAO mais aussi des tagueurs, des graffeurs, des muralistes et des artistes d’atelier.
Pour certains l’œuvre de la rue renvoie souvent à des boutiques en ligne ou des sites internet.
Les artistes urbains sont des utilisateurs d’Instagram, le @ qui précède souvent leur signature renvoie à leur compte Instagram. L’œuvre posée dans la rue est une sorte d’hameçonnage pour attirer le chaland vers le réseau social qui porte et diffuse leur activité artistique. Les réseaux sociaux sont indissociables du street art. Ils pallient à son caractère éphémère en lui donnant une vie virtuelle longue et permettent des transactions marchandes qui donnent de la valeur, non pas à ce qui est posé sur le mur, mais ce qui est dans l’atelier ou l’ordinateur de l’artiste.
La démarche street art est rarement purement gratuite soit elle est militante et défend une cause, soit elle est support de notoriété dans une démarche marchande. Parfois il est difficile de démêler ces deux aspects.
Il ne faut pas négliger cependant que, aller dans la rue, pour un artiste est aussi un plaisir addictif qu’il pratique souvent en bande.
Pour porter leurs messages les artistes utilisent toutes sortes de techniques ou de supports et recourent souvent à des références puisées dans l’histoire de l’art ou d’autres formes d’expression plus contemporaines.
L’observation mettra en évidence les notions d’influence, d’hommage de transgression.
Comme les peintres qui les ont précédés beaucoup d’artistes qui exposent dans la rue font partie de collectifs ou de crew pour les graffeurs.
-Influence : Dans son parcours, y compris pour les artistes issus du graffiti vandale, on peut déceler des influences, résultant d’une connaissance de l’histoire de l’art et d’affinités pour tel mouvement ou tel ou tel artiste.
Adec |
Adec |
Voglio Bénédicte Liz et Mallow
De manière plus contemporaine certains artistes sont influencés par la BD, le manga ou le dessin animé.
-Hommage : L’hommage se distingue de l’influence. L’artiste ne s’approprie pas une manière de peindre, il fait un clin d’œil à un autre artiste ou à une œuvre.qui n’est pas forcement picturale, cinéma, chanson. (voir les paroles de chansons de Françoise Hardy et de Dionysos sur les affiches de Bénédicte Voglio
Nado Orbis Voglio Bénédicte Moke Sunra
L’influence et l’hommage se confondent parfois.
Transgression/Subversion : L’histoire de l’art est une suite de transgressions. Les artistes qui ont marqué l’histoire de l’art sont ceux qui étaient en rupture avec leurs prédécesseurs. Le graffiti qui s’est nourri des tags, des flops et des lettrages vandales sur les toits et les murs (mais aussi les trains) est bien un mouvement transgressif qui au départ n’était nourri d’aucune influence et refusait même l’esthétisme..
Les parcours hors normes de Basquiat et Keith Harring sont des exemples d’artistes en rupture avec les modes d’expression qui les ont précédés..
L’utilisation récurrente du flop dans leurs œuvres sur toile par Jonone, Sunset, Tanc, Nasty et bien d’autres artistes constitue l’expression ultime du graffiti qui n’a pour référence que lui même.
Collectifs et Crew.
Les ateliers de la renaissance regroupaient autour d’un maître de nombreux disciples. Les collectifs et ateliers rassemblaient les peintres d’un même mouvement (impressionnistes, surréalistes) de même les artistes qui investissent l’espace public s’organisent souvent en collectifs (A Montpellier, Vingt zéro deux, cercle rouge, artstation ..ect ).
Tussok Studio-Crying Sailor Crying Sailor
Les graffeurs sont organisés en crew. La notion de crew ajoute à la solidarité et aux actions communes une prérogative territoriale. Les mouvements graffitis ne se construisent pas au départ sur une ambition artistique mais sur un rapport violent d’occupation d’un territoire par des tags et des graffitis. Les rapports entre crew s’organisent autour de codes qui régissent le respect ou le vandalisme des graffitis des crew rivaux,
Les collectifs ont une vocation artistique alors que les crew de tagueurs graffeurs sont construits initialement sur une logique de marquage territorial. Ils évoluent vers des formes moins agressives lorsque leurs membres s’assagissent en développant une démarche artistique assumée. C’est du substrat de tagueurs que se dégagent quelques individualités qui s’engagent dans une recherche esthétique. Le mouvement graffiti est le fruit de l’évolution de quelques tagueurs vers des formes artistiques, souvent d’abord une pratique très sophistiquée de la lettre autour de leur blaze (nom ou alias d’artiste),
Basquiat et Keith Harring qui sont aujourd’hui muséographiés et dont les toiles se vendent plusieurs millions de Dollars sur le marché de l’art ont commencé à taguer dans les rues et le métro de New York. Les exemples de graffeurs ayant accédé à la notoriété et trouvé une place sur le marché de l’art sont nombreux. Le nombre de Galeries d’art exposant des artistes du mouvement graffiti en témoigne. Il y en a au moins trois à Montpellier.
Le graffiti est le fait d’artistes issus du tag vandales qui ont évolué vers des représentations ayant une ambition esthétique et artistique. Ils ont souvent, au long de ce parcours intégré des influences diverses reflétant leur culture artistique et leur connaissance de l’histoire de l’art.
Le street art recouvre toutes les formes graphiques, tous les supports, tous les messages, toutes les techniques qui ont choisi de s’exposer dans l’espace public. Les artistes issus du graffiti refusent d’être assimilés à ce mouvement multiforme qu’est le street art.
2-Les supports
Ce qui différencie l’art dans les Musées de l’art dans l’espace public c’est que le musée conserve alors que l’art dans la rue est par nature éphémère. Le caractère éphémère du street art le fait entrer de plein pied dans l’art contemporain. Mais un art accessible et dégagé de la conceptualisation.
Le musées exposent principalement des originaux, c’est à dire des œuvres réalisées sans contestation possible de la main d’un artiste qui les a signées. La polémique autour de la paternité de Léonard de Vinci sur le Salvator Mundi en témoigne.
Le street art est loin de ces préoccupations, il. donne à voir des œuvres uniques originales mais aussi beaucoup de copies et de pochoirs qui peuvent être reproduits en exemplaires multiples.
Il faut s’entendre sur la notion d’œuvre. Si elle est incontestable dans un musée elle peut faire débat dans la rue.
Lion Axwel |
Une œuvre artistique se définit par l’intention de son auteur quel que soit le support. Si l’intention n’est pas esthétique mais sociale ou politique (marquage de territoire, pouvoir, revendication) tels la plupart des tags vandales nous n’avons pas affaire à de l’art.
L’évolution du tag vers le graffiti marque un changement d’intention. De simple marquage d’un territoire le trait devient esthétique. A partir du moment ou le tagueur travaille graphiquement son blaze pour en faire un flop, puis des lettrages complexes, codifiés ou libres, il entre dans le domaine de l’art.
Le mouvement graffiti, qui aujourd’hui est une branche importante de l’art contemporain, trouve ses origines dans le flop. Le flop est une calligraphie comparable aux calligraphies zen de Chine ou du Japon. Tous les peintres issus du graffiti, y compris ceux qui ont atteint une notoriété internationale et dont les œuvres se vendent à des prix astronomiques sur le marché de l’art défendent la beauté du flop et considèrent que du flop qu’émane l’énergie de leur art.
Vous seriez surpris de savoir que Jonone, Nasty, Crash, et la plupart des artistes issus du graffiti continuent à taguer en ville dès qu’ils en ont l’occasion. Toujours un Molotov en poche ou un spray à porté de main. Tagueur un jour tagueur toujours dit Nasty.
L’adrénaline du tag ou de toute action artistique, plus ou moins légale dans la rue est un des aspects commun au street art et au graffiti. Dans la rue la transgression n’est pas qu’artistique elle l’est aussi par rapport à l’ordre établi et à la légalité.
Flop,Tag Lettrages sur les toits
Inconsciemment, notre habitude de côtoyer l’art dans les musée rend presque insupportable l’idée d’un art éphémère. L’éphémère est l’essence même du contemporain. Il n’y a pas plus contemporaine qu’une œuvre qui vient d’être posée qui passe son message et disparaît. Le mot contemporain est pris ici au pied de la lettre.
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Que trouve t-on dans la rue ? Des œuvres originales soit réalisées directement sur le mur soit collées par leur auteur mais aussi et surtout des exemplaires, copies d’ œuvres qui peuvent faire l’objet de reproductions en nombre .
- Les copies
Soyons d’accord sur le fait que à partir du moment ou la copie; la photo ou le pochoir à été créé par un artiste, que celui ci a recherché l’emplacement le plus propice à sa mise en valeur, que beaucoup de collages sont composées de pièces multiples qui font l’objet d’une composition unique nous avons sans contexte affaire à des œuvres d’art. Une matrice unique selon sont emplacement, sa mise en couleur, sa composition peut donner lieu à de nombreuses réalisations, toutes différentes.
Les Techniques de reproduction sont multiples : photocopies, pochoirs direct ou sur feuille collée, impressions sur papier de fichiers numériques... ect
L’original reste dans le carton à dessin, ou dans le disque dur de l’ordinateur de l’artiste. Le pochoirs, au sens du bristol découpé est conservé aussi longtemps que possible par celui qui l’a découpé. Le pochoir matrice est parfois exposé ou l’encadré devenant ainsi une œuvre à part entière.
De plus en plus d’artistes travaillent sur tablette graphique avec des logiciels de dessin.. Beaucoup l’utilisent pour préparer le dessin qu’ils exécuteront à la bombe ou/et au pinceau sur un mur ou autre support de la rue. D’autres font imprimer leurs fichiers, soit pour les vendre sous formes de «prints» signés en série limitée, soit pour les coller dans la rue.
Le développement de la numérisation a donné naissance à un nouveau marché de l’art celui des NFT (Non fungible token) (jeton non fongible) qui est un certificat d’authenticité réputé inviolable permettant à l’acheteur d’avoir l’exclusivité d’une œuvre numérique. La vente de tels objets immatériels est interdite en France.
Le corollaire du caractère éphémère du street art est que les œuvres, à partir du moment ou elles sont offertes au public, dans la rue n’ont pas de valeur. Si le temps et les éléments les détruisent, si elle sont taguées ou arrachées ce n’est pas si grave. Ce qui est rageant c’est quand un collage ou un pochoir est détruit avant même d’avoir été vu, mais dans ce cas là, l’artiste souvent la remplace.
La valeur reste chez l’artiste qui peut vendre un original, des prints ou des affiches en nombre plus ou moins limité et toujours signés de la main de l’artiste. L’exposition dans l’espace public de leur travail, avec l’intervention des réseaux sociaux renvoie les visiteurs attentifs à des boutiques en ligne ou des expositions privées ou ils peuvent acheter des œuvres.
Le caractère éphémère du street art, loin d’être regrettable, s’inscrit dans un processus créatif ou une image disparaît, pour laisser la place à une autre faisant de la rue une galerie à ciel ouvert, gratuite, ou se succèdent les artistes pour présenter leur travail.
Nous sommes loin de la notion de conservation propre au musée. C’est pourquoi il est abusif de parler de musée à ciel ouvert, le terme galerie convient mieux.
- Les originaux
Dessins, peintures, céramiques, volumes ou collages peuvent être des originaux, uniques collés dans l’espace public. Les murales; les peintures sur les rideaux des boutiques sont réalisés directement sur leur support. Certaines sont réalisées gratuitement, d’autres, principalement les murales ont fait l’objet d’un contrat rémunéré par le propriétaire du mur ou du rideau.
Les galeries d’arts qui exposent des artistes issus du graffiti financent des murales pour donner une visibilité et mettre en valeur leurs artistes résidents.
Le collage ou la réalisation d’une œuvre originale dans l’espace public est un acte généreux de la part d’un artiste qui sacrifie une œuvre unique dont il a payé la matière d’œuvre. Acte généreux, mais pas totalement désintéressé. La rue est, surtout pendant cette période de pandémie, le seul moyen pour de jeunes artistes de faire voir leur art. En effet beaucoup de ceux qui exposaient habituellement dans des bars, des boutiques ou de petites galeries, ont vu ces lieux fermés pour des raisons sanitaires.
Les originaux sont également soumis aux contraintes destructives propres à leur exposition aux éléments et au vandalisme. Les artistes connaissent la règle et l’acceptent. Bien que sacrifiée à terme, l’œuvre a pour vocation première d’être vue, d’où l’importance prise par les réseaux sociaux. L’œuvre, à peine achevée est photographiée et publiée sur les réseaux sociaux, plus particulièrement sur Instagram.
L’œuvre commence alors une carrière virtuelle, répercutée de compte en compte par des amateurs qui en font la chasse. C’est à travers les réseaux sociaux que circule le street art et le graffiti. Cette diffusion est mondiale pour les muralistes et les street artistes les plus réputés.
L’œuvre originale, au destin éphémère, trouve donc une éternité virtuelle. Rappelons que Martha Cooper et Henry Chalfant ont donné, en le photographiant, une éternité au mouvement graffiti des années 1980 dans le métro Newyorkais.(Subway art)
Les œuvres réalisées en extérieur sont par nature éphémères. Bien qu’acceptée par ceux qui les réalisent, la disparition définitive d’œuvres reconnues comme importantes par le public et le milieu de l’art est mal acceptée, c’est pourquoi les galeries d’art se sont rapidement intéressées aux meilleurs des graffeurs, les ont incités à produire des toiles et à les exposer. La durabilité était ainsi acquise, jusqu’à ce que les musées s’y intéressent. La boucle est bouclée pour une infime minorité de graffeurs qui ont trouvé une place dans les musées et l’éternité qu’ils leur confère.
Montpellier le 04 juin 2021