vendredi 26 août 2016

Ouvéa fucking méditation numéro 4-Nonchalance quelle chance



Nonchalance, quelle chance


Séjourner à Ouvéa est une expérience étrange. La beauté vous submerge et c’est déjà une expérience peu banale. Pour le reste, mieux vaut s’adapter et abandonner toute référence à l’organisation de l’espace et à la vie sociale auxquels nous sommes accoutumés en Europe. N’exagérons rien cependant, nous ne perdons rien, ou presque. en confort, il s’agit surtout d’une question de repérage dans l’espace et dans la société.


Nous sommes arrivés en avion, un ATR parfaitement adapté à un saut de puce de trois quart d’heure. Une Clio de location tout ce qu’il y a de plus conventionnel nous attendait et c’est une route, la seule certes, mais asphaltée que nous avons empruntée. Rien de moins que ce dont nous avons l’habitude. Deux point de retrait automatiques d'espèces permettent de faire flamber la gold.


Pour le reste mieux vaut s’adapter. La notion de village, n’a pas cour ici. Entre le panneau entrée de Fayaoué et le panneau sortie, rien qui ressemble à une agglomération, même petite. L’église, le temple, la poste OPT, la gendarmerie, l’école, le collège flambant neuf, sont implantés hors habitat.


La quasi absence de panneaux indicateurs et de signalisation transforme en course d’orientation la recherche d’une simple épicerie ou d’un snack. La notion de restaurant n’existe pas, seul de petits snacks offrent dans des conditions minimales de confort et de service, des plats du jour, le plus souvent délicieux, au prix d’un bon restaurant de Nouméa.


L’habitat est dispersé le long de la route, ou même, isolé dans les cocotiers ou en forêt. Peu de maisons en dur. Une famille dispose en général de plusieurs cases végétales. Une case carrée pour le séjour, une cuisine extérieure, des cases rondes en guise de chambres, des toilettes sèches, un coin toilette sans eau courante. Les lieux d’habitat sont toujours fleuris. Tous les récipients imaginables, de la boîte de conserve au pneu. accueillent toutes sortes de plantes. Les Euphorbes (épines du Christ) de toutes couleurs, sont particulièrement prisées.


Dans le sud à Mouli, l’eau provenant d’une station de désalinisation est stockée dans de grandes citernes en plastique vert. Pas d’eau courante donc. L’électricité n’arrive pas partout. Les mieux dotés de ceux qui ne sont pas reliés au réseau, disposent d’un groupe électrogène.


Les gens ne sortent de chez eux que seuls, our aller vaquer à ses occupations. Chacun reste chez soit, tranquillement, en famille. Curieusement les lieux de convivialité sont peu fréquentés. Les minuscules marchés périodiques qui se tiennent sur des étals couverts, prévus à cet effet, ne comptent que quelques stands de fruits et légumes, On peut trouver également du pain marmite, des confitures, des achards et les fameuses barquettes de plats cuisinés à emporter, qui pour 400 ou 500 francs sont souvent la seule solution nourriture. En trois jours elles nous ont sauvé deux fois de la disette. Curieusement les plantes ornementales ont beaucoup d’amateurs et même des collectionneurs.


Les acheteurs ne s’attardant pas et les marchés sont peu animés. Les kermesses au profit de telle ou telle association sont fréquentes. Une sono puissante, diffusant un mélange de musiques africaines et de groupes ou chanteurs locaux, anime une place déserte. Là aussi les visiteurs ne s’attardent pas, ils ne font que passer, emportent quelques barquettes et repartent. Il y a l’animation mais pas les gens. La convivialité ne fait pas partie de la fête. Si l’alcool est consommé, et il ne l’est que trop, c’est en cachette, loin des yeux et en tout cas pas de manière festive.


La famille et, de manière plus large,  le clan, vivent sur leur territoire et semblent peu se côtoyer entre eux. On ressent derrière la nonchalance affichée et le soucis de faire bonne figure devant les visiteurs que le bonheur affiché n’est qu’une façade qui dissimule un univers insondable de frustrations de querelles et de rivalités. En laissant croire à une vie insouciante, proche de la nature, entourée de l’affection et de la solidarité de la famille, dans une île paradisiaque, les Ouvéens manifestent leur méfiance vis à vis de ceux qui ne font pas partie de leur société. Ils écartent ainsi les étrangers de problèmes qu’ils considèrent comme étant hors de leur compréhension.


Je ne peux pour ma part m’interdire de faire le lien entre l’organisation sociale et la manière de vivre et de travailler au quotidien. Forcément le rapport au temps, la manière d’organiser les journées entre travail, repos, repas, parole, ne peut être sans lien avec l’organisation sociale dans ce qu’elle a de contraignant.

Quelques mots sur l’organisation coutumière : ISEE (Institut des statistiques et des études économiques de Nouvelle Calédonie) «La société kanak est structurée autour d’une organisation coutumière propre. Le clan est la base de cette organisation. Les clans se réunissent en tribus, au sein de districts coutumiers, eux-mêmes regroupés en aires coutumières. Le territoire est découpé en huit aires coutumières, créées par les Accords de Matignon en 1988 et dont le fonctionnement institutionnel est fixé par la loi organique n°99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.»

En fait l’organisation autochtone ne correspond plus depuis longtemps à l’organisation coutumière ancienne. En 1956, Jean Guiart de l’ORSTOM, précisait, concernant l’organisation coutumière en Nouvelle Calédonie dans une note à propos de de l’organisation intérieure des tribus autochtones en Nouvelle Calédonie et aux loyalty que l’organisation entre grandes et petites chefferies organisées hiérarchiquement remontait à l’arrêté du 27 octobre 1897 du Gouverneur Feuillet. Depuis, cette organisation à fait, à l’occasion d’élections ou de réformes administratives, l’objet de multiples adaptations, jusqu’aux accords de Matignon qui organisent l’expression politique des autochtones.

Les seules entités traditionnelles qui aient connu  une permanence sont le Conseil des anciens et le clan. Le clan est constitué par tous les descendants d’un ancêtre commun. Il a ses traditions, ses légendes, ses dieux et son totem qui peut être un animal ou une plante. Il peut comprendre plusieurs familles et est la cellule de base de la société autochtone. Jean-Joseph qui nous a accueilli chez lui était chef de clan et assistait le grand chef sur la communication (dircom de la chefferie en quelque sorte)

L’organisation traditionnelle est restée plus présente dans les loyautés, moins touchées par le contact avec les Européens.

Pour Jean Guiart «dans une société vivant entre la pêche et les travaux de la terre, l’offrande d’une partie de son travail constitue l’acte social par excellence. On ne peut donner que ce que l’on a de meilleur et l’offrande cérémonielle des prémices de la récolte apparaît comme la consécration de l’année nouvelle. Les premiers ignames portés par le cadet à son frère aîné, déclenchent une mécanique complexe dont le déroulement offre une image complexe de la société loyaltienne.

J’ai assisté à une fête de l'igname à Lifou il y a quelques années. J’étais reçu et hébergé en tribu et mon hôte m’a annoncé pour le lendemain la fête de l’igname. Je me réjouissais par avance de pouvoir assister à une fête traditionnelle. En fait en fin d’après midi, la famille : père, mère, enfants et moi, munis d’un panier, tressé le matin même par la mère dans une palme verte de cocotier,  d’une pioche, d’une pelle et d’une barre à mine, nous avons emprunté un sentier dans la forêt pour nous rendre au champ d’ignames dans une clairière défrichée. Une fois choisis les ignames à déterrer, les outils entrent en action. La barre à mine sert à écarter la terre du tubercule qui est enfoncé profondément dans le sol, bien plus de cinquante centimètre, et souvent difforme, la racine se divise quelquefois en deux. Il s’agit de sortir les énormes tubercules sans les casser. L’opération est physique et elle prend du temps. Les quelques tubercules arrachés au sol sont chargés dans le panier, le panier chargé sur l’épaule et retour à la maison. La fête est finie. Enfin presque le lendemain mon hôte se rend chez son frère avec le plus bel igname dans son panier de palme verte. Exactement ce que décrit Guiart. On m’explique que la date de cueillette des premiers ignames est déterminée par le chef. Il ne s’agit pas de lancer la récolte proprement dite, juste de récolter pour le don cérémoniel. Ces ignames ne seront pas consommés en famille. Pour ma part j’ai repris l’avion avec un igname, ce qui semble-t-il est un signe de considération. Le mot fête ne recouvre pas tout à fait la même réalité dans la société Kanak et chez nous.

Revenons à Guiart «L’échange de prémices n’est ni un échange, ni un simple don de l’amitié et ce à tous les niveaux de l’échelle sociale. La première offrande n’est pas mise de côté, la meilleure part reçue par le dernier, augmentée d’une substantielle contribution est remise ensuite à celui qui détient la position prépondérante au sein du groupe local» et ce en remontant au chef de clan, puis de village jusqu’au grand chefs. Si les dons se font sans protocoles au niveaux inférieurs, ils prennent une tournure très protocolaire lorsque les dons parviennent à la chefferie.

L’organisation, dite coutumière, de la société Kanak paraît extrêmement contraignante dans la mesure ou les dons, ce qu’on appelle aujourd’hui la coutume, ne sont pas optionnels, ils sont une obligation pour qui veut garder sa terre sa maison et sa place dans la société. Pour disposer d’un lopin et du simple droit d’exister, chaque famille doit se soumettre à ce système complexe de dons qui sont autant de marques d’allégeance à des personnes auxquelles est du le respect. Un tel réseau d’obligations économiques et sociale me semble être un frein à toutes libertés dans tous les domaines de la vie, qu’elle soit matrimoniale, sociale ou économique. Les autochtones aiment à mettre en avant la solidité des liens familiaux et de solidarité, ils avouent moins volontiers le prix à payer en terme de contrainte et de privation de liberté.

Ce système fonctionne aujourd’hui comme un frein à la réussite économique de celui qui se lance dans une affaire sans avoir complètement verrouillé son projet avec les anciens. Je pense à une famille que je connais bien à lîle des pins. JM Le mari Kanak originaire d’une tribu de l’île et sa femme walisienne venue de la grande terre ont ouvert un petit Snack à Vao le chef lieu de l’île. Chaque jour quelques membres de la famille s’arrêtent sous prétexte de saluer et demandent, qui un café, qui un coca ou un morceau à manger. Pas question de payer bien sur, c’est la famille. Ce harcèlement quotidien n’est rien comparé aux obligations coutumières qui s’accroissent en fonction de la réussite économique supposée. Le résultat. Je vous assure que j’en ai beaucoup parlé avec JM, est : la volonté de rester petit. Il fait snack mais dispose d’un petit hébergement qu’il loue au noir à condition que les «invités» apparaissent comme des amis. Il décide de ne pas ouvrir tel ou tel jour, garde une manière de vivre très modeste, sa voiture est une véritable poubelle ambulante. Sa préoccupation première, pour ne pas se faire dépouiller par la famille, est de donner constamment des signes de pauvreté. Mieux vaut être pauvre que refuser de donner, sinon gare à l’incendie.

A Ouvéa, autour du trou d’eau dit «des tortues», qui est un des pôles d’attraction touristique, toutes les cases ont été incendiées, le lieu offre aujourd'hui un spectacle de désolation. Quand je demande ce qui s’est passé on me répond évasivement «un problème de terre». Tout est dit. En fait ce système de dons et ses dérives récentes sont devenus un frein puissant à l’initiative économique individuelle, une régulation par le bas en quelque sorte. On se trouve face à un système quasi féodal, qui enrichit la caste des chefs, qui par ailleurs trouvent toutes sortes d’avantages, y compris financiers dans leur rôle de représentation des autochtones dans les différentes instances administrative et politiques.

On comprends que après vingt ans de mise en œuvres des accords de Matignon une partie des grand chefs, représentants des populations autochtones, se sont enrichis, mais discrédités auprès d’une partie de la jeunesse dont les plus éduqués aspirent à plus de liberté et la moins éduquée est prête à tous les extrémismes désespérés.


On comprend également que la nonchalance ne doit pas être désespérée. C’est parfois le cas ceux qui ont le sentiment que rien de ce qu’ils peuvent faire n’aboutira et qui préfèrent entrer dans un état de léthargie amorphe que de bouger le petit doigt. La nonchalance est une étroite ligne de crête entre le trop en faire et le pas assez. La nonchalance est donc un art de vivre. Pas un manque d’ardeur ou de vivacité, mais bien une lenteur naturelle dans l’attitude.

L’aimable nonchalance que l’on constate et que l’on envie chez les autochtones d’Ouvéa ne trouve-t-elle pas sont origine dans ce système séculaires de dons d’une partie de son travail qui fait que chacun à intérêt à modérer ses ardeurs et à privilégier le temps de la paresse, la lenteur au travail, les discutions à n’en plus finir, le temps de vivre quoi. La nonchalance ne serait pas un état d’esprit, une caractéristique génétique des peuples polynésiens ou mélanésiens, mais bien une caractéristique sociale. Dans les sociétés dont le moteur est l’enrichissement, le travail est privilégié, jusqu’au stress, jusqu’au burn out. Dans les société ou l‘enrichissement est impossible on privilégie le temps, en adoptant un rythme de vie et de travail lent. Chaque action requiert du temps, le temps de la palabre, le temps de la réflexion, le temps de l’action. Inutile en fait de se presser, de travailler plus et plus vite, d’entreprendre si c’est pour augmenter ses devoirs de solidarité avec d’autres membres du clan qui eux se la coulent douce.

A Ouvéa, en Nouvelle Calédonie, peut-être dans tout le pacifique sud, une contrainte économique a donné naissance à ce que l’on qualifie d’art de vivre, envié par les occidentaux qui ont pris conscience des dégâts en terme de santé mais surtout de bonheur que provoquent les manières de vivre frénétiques, toutes entière tournées vers le travail.

Le mouvement slow food destiné à retrouver le temps de manger en appréciant chaque aliment, les retraites spirituelles, la pratique du yoga, du qi gong ou du taï chi, la méditations sont des pratiques très en vogue aujourd’hui en occident. Elles permettent de se poser, de trouver des moments à soit, pour soit.

Vivre intensément le présent ne peut pas se faire dans la précipitation. Le TGV n’est pas le meilleur endroit pour admirer le paysage. Pour apprécier l’instant, vivre le moment présent il est impératif que le moment dure, pour en prendre pleinement conscience et l’apprécier. Pour en revenir au paradis, nous avons dit que pour l’apprécier il faut de la sérénité, il faut aussi le temps de se poser et de méditer.

Fucking méditation Numéro 4 : Ralentir, Allonger le présent, apprécier l’instant, bonheur

photos : la sculpteuse, le four à coprah pour la savonnerie d'Ouvéa, un arbre à santal, champs de canne à sucre et de patates douces, grotte de Lekini





















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