Cette méditation sera irrévérencieuse mais pas à charge. Elle est inspirée et en partie nourrie par une expérience de cinq ans à l’accueil social d’une organisation caritative. Je ne la cite pas car mon propos ne la concerne pas. Le bénévolat caritatif, par le contact qu’il suppose avec des personnes ou des familles qui vous confient leurs problèmes d’argent et souvent aussi leur détresse ne laisse pas de marbre. On sort souvent ébranlé d’une matinée passée à entendre des personnes dans le besoin, certaines dignes, d’autres qui craquent, des malades, parfois mentaux, des personnes handicapées, des personnes addicts à l’alcool ou à la drogue, des familles avec des enfants, quelquefois beaucoup d’enfants, des sans domicile, des personnes sous tutelle ou curatelle, des demandeurs d’asile de toutes origines, des personnes en situation irrégulière, d’ancien salariés en pleine dégringolade sociale, quittés par leur conjoint(e), virés de leur logement, incapables de payer les études de leurs enfants, des personnes âgées, isolées, impotentes, vivant avec une retraite minuscule, des endettés jusqu’au cou, des personnes qui font tout pour s’en sortir, d’autres qui nagent comme des poissons dans l’eau dans le système d’aides sociales et le réseau caritatif pour en tirer tous les avantages, qui tentent de vous flouer pour mieux obtenir une aide qui ne leur est pas indispensable, des musulman(e)s qui affichent des comportements communautaristes, des personnes polies, des gentilles, des agressives, ... J’en oublie.
Bien sur on garde de la distance, on tente de ne pas se laisser ébranler mais surtout on se pose des questions. Qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi me suis-je investi dans une mission caritative ? Faut-il être mu par la religion pour aider des personnes dans le besoin ? Mêmes questions sur mes collègues. La charité qui passe par des institutions dédiée est elle moins humiliante que la charité directe ? Pourquoi faut-il encore de la charité dans un pays développé qui a mis en place une foule de mesures d’aides sociales ? Comment être équitable ? Comment ne pas être trop empathique ou comment ne pas perdre son empathie ? deux volets d’un même dilemme. Toutes ces questions, qui sont en fait existentielles méritent bien une fucking méditation pour éprouver la difficulté et les ambiguïtés de la relation entre des humains qui volontairement se mettent en position d’aider et des humains qui sont réduits à demander de l’aide pour assurer leur subsistance.
1-Le plus grand péché est le manque d’amour et le manque de charité (Mère Térésa, un pensée par jour)
En préalable je cherche la définition du terme charité. Compte tenu du caractère somme tout superficiel de cette méditation je me contente de farfouiller sur internet via l’incontournable Google. Allons y, je tape «charité définition». Voilà brut de décoffrage ce que j’ai trouvé. Les premières lignes des définitions des cinq premiers items référencés donnent matière à méditer.
https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/charite Charité Amour des autres.«Faire la charité»
Dans la théologie chrétienne, amour de Dieu et du prochain comme créature de Dieu : La Foi, l'Espérance et la Charité sont les trois vertus théologales.
Acte charitable, bienfait ; faveur : Vivre des charités des autres. Faites-moi la charité de m'écouter.
Principe de lien spirituel, moral qui pousse à aimer de manière désintéressée. Que charité soit synonyme d'amour, tu l'avais oublié, si tu l'avais jamais su (Mauriac, Le Nœud de vipères,1932, p. 111).
Vertu spirituelle qui est l'amour parfait venant de Dieu et dont Dieu est l'objet, lien d'unité intime entre Dieu et les hommes, créatures de Dieu :
1- qualité portant à vouloir le bien d'autrui, à désirer l'aider
2- secours apporté à autrui
Dans le langage ordinaire, la charité est une vertu qui porte à désirer et à faire le bien d'autrui. Elle rend donc service aux gens. C'est donc un acte inspiré par l'amour du prochain. Dans le langage des théologiens, elle désigne à la fois l'amour de Dieu pour lui-même et du prochain comme créature de Dieu. La première encyclique du pape Benoît XVI s'intitule ainsi Deus caritas est (« Dieu est amour »), en référence à la Première épître de Jean. La charité est en outre définie comme l'une des trois vertus théologales du christianisme (aux côtés de la foi et de l'espérance).
https://www.littre.org/definition/charité
· 1-Amour du prochain
· 2-Acte de bienfaisance, aumône.
· 3-Les frères, les sœurs de la Charité, congrégations qui se vouent au soulagement de la misère.
Eh bien voilà qui est édifiant.. Nous voilà bien avancés. Est-il bien sérieux de définir la charité comme l’amour du prochain ? Les dictionnaires, et en particulier les monuments que sont le Larousse et le Littré et Wikipédia, la fameuse encyclopédie collaborative, nous engluent tous dans une rhétorique religieuse chrétienne, à croire que la charité n’existe pas dans le monde laïque. S’il fallait prouver que l’on baigne dans une solution hautement concentrée d’à priori et d’idéologie chrétienne cette recherche sommaire y suffirait.
Nos sites de référence ne prennent pas de distance, tous nous renvoient aux trois vertus théologales du christianisme à côté de la foi et de l'espérance. Sans aucun doute le sens moral (un être vertueux) ou pratique (vertu d’une plante) découlent en droite ligne du sens religieux. Je suis prêt à le croire.
Pour ce qui est de l’amour du prochain. Si on peut concevoir que l’amour du prochain peut être pour certains un ressort de l’acte caritatif, on ne peut en aucun cas l’y réduire. Autant dire que la charité est «bonne conscience» «supériorité» ou «inégalité» C’est absurde ! Concédons que l’amour peut-être un ressort de la charité, mais pas la charité elle même . Les croyants de toutes les religions ont tendance à avoir l’amour facile, tout au moins en paroles.C’est fou combien l’étymologie peut peser sur le sens des mots.
Le mot « charité » est la francisation du latin caritas, -atis, signifiant d'abord cherté, puis amour. La charité est une vertu. Tiens donc. J’ignore si, en dehors des vertus des plantes, du soleil ou de la pluie, quand il s’applique à l’homme, le terme vertu peut être laïcisé.
2-«Que la charité fasse ce que la justice ne saurait faire» (Frédéric Ozanam fondateur de la société Saint Vincent de Paul)
De toute évidence la charité à fait l’objet d’un hold up par les religions en quête de rédemption pour leurs adeptes. La Révolution et les lumières sont quand même passés par là et en fouillant un peu plus loin dans les réponses de Google on trouve des définitions laïcisées.
Philo pour tous : «D'après l'idée que l'on s'en fait généralement, la charité consiste à donner quelque chose à quelqu'un, sans attente de contrepartie, selon une pure "bonne volonté l'image la plus commune, pour l'illustrer, est le don d'une pièce à celui qui tend la main dans la rue.»
Illustrer la charité par l’exemple de l’aumône, parait bien réducteur. De vertu la charité est devenue volonté, enfin «bonne volonté». L’exemple de l’aumône et le terme de bonne volonté montrent bien la pollution religieuse de nos esprits. Cet article soulève quatre questions.
Les motivations d’abord : «il est possible que ces motivations ne soient pas toujours "pures" ne s'agit-il pas, derrière un désintéressement apparent, et peut-être même de façon inconsciente, de gagner une image positive de soi-même, voire un sentiment de supériorité par rapport à autrui ?»
La perception par les bénéficiaires : «on peut craindre que celui qui bénéficie de la charité ne soit traité de façon profondément humiliante, dans la mesure où il se trouve à la merci du bon vouloir des autres ; sa situation n'implique-t-elle pas une forme de servilité, incompatible avec sa dignité de personne humaine ?»
La Justice n’est-elle pas préférable ? «Si la charité n'est effectivement que cela : elle est, au mieux, un substitut imparfait de la justice. L'idéal serait qu'elle soit remplacée toujours et partout par celle-ci, et que la satisfaction de nos besoins soit un droit, défini et assuré par les institutions publiques, plutôt qu'une simple possibilité soumise aux aléas des volontés individuelles»
Au delà du droit la charité : «l'attitude qui consiste à donner à l'autre ce dont il a besoin, mais à quoi il ne peut pas avoir droit. Considérée ainsi, ne serait-elle pas, tout à la fois, irremplaçable par la justice, exempte de la recherche d'un intérêt caché pour celui qui l'effectue, et dépourvue d'humiliation pour celui qui en bénéficie ?»
Dans une société «juste» qui garantirait à chacun un droit à satisfaire ses besoins essentiels, il existerait un au delà, constitué d’une foule de besoins immatériels : estime, pardon, chaleur humaine, réconfort, espoir qui offriraient un champ inexploré pour la charité.
Pardonnez moi mais on n’a pas avancé d’un iota. Pas avancé sur le plan terminologique on nage dans un bain idéologique et lexical judéo chrétien dont il est semble impossible de s’extraire.
Le terme de charité est connoté par ses origines religieuses et des pratiques narcissiques. On préférera aujourd’hui parler d’aide, d’assistance, de solidarité, de secours, voire de philanthropie, de bienfaisance. Curieusement ces termes, comme le mot charité, renvoient toujours aux qualités de l’aidant, de façon plus discrète mais impitoyable. Mis à part le mot aide qui est le plus neutre. Tous les autres renvoient à des qualités de l’aidant. Aider les pauvres et le faire bénévolement, c’est flatteur, c’est valorisant, ça donne bonne conscience, et en plus c’est conforme, oh combien, avec les préceptes religieux.
3- «Le sage sait que plus il donne aux autres, plus il a pour lui même» (Lao Tseu)
Mes collègues de l’accueil social, tous retraités, tous croyants et même pratiquants sont des personnes gentilles, le cœur sur la main et de bonnes compagnie. Tolérants parce qu’aucun n’a jamais trouvé à redire sur la présence parmi eux d’un non croyant. Je ne m’en suis jamais caché. A mon arrivée ils se sont assurés que la présidente était bien au courant. Elle l’était, parce qu’elle m’avait, sans ambages, posé la question. Je lui ai répondu franchement. Et tout aussi franchement elle m’a répondu qu’elle n’imaginait pas qu’on puisse vivre sans croire. Elle n’a pas fait obstacle à mon recrutement qui prouvait sa largesse d’esprit. Il faut dire par ailleurs que j’avais la caution morale, d’un ami de longue date, très croyant, qui depuis longtemps m’avait réservé une place dans cette organisation, pour le temps de la retraite.
Depuis longtemps je me disais que quand j’aurai du temps j’en consacrerai une partie à aider ceux qui avaient besoin. Je voulais le faire comme bénévole de base, discrètement. En aucun cas je ne voulais entamer une nouvelle carrière dans le bénévolat et n’y recherchais aucune reconnaissance. J’ai une méfiance envers les individus toujours avides de responsabilités et surtout de la reconnaissance sociale qui va avec. Mes collègues de l’accueil social sont tous désintéressé, ils font le boulot, rentrent chez eux et ne courent ni les honneurs ni la reconnaissance, même pas celle des personnes qu’ils aident.
J’ai eu beaucoup de plaisir à les côtoyer et ils ont même changé ma manière d’apprécier mes semblables. Depuis mai 1968, ma jeunesse étudiante, et les manifs contre la loi Debré, je suis de gauche. Ça me fait drôle de l’écrire, mais je ne l’ai jamais caché, j’ai toujours voté comme ça, lu des journaux et des magazine de gauche, et même un temps j’ai adhéré au parti socialiste. Du coup mes fréquentations étaient de gauche, je pouvais à la rigueur tolérer quelqu’un de droite, certainement pas m’en faire un amis et je n’avais même pas à rejeter les fachos du front national, toute ma vie me tenait naturellement loin d’eux.
Bien que nos convictions politiques n’aient jamais été mises sur la table lors de nos conversations, je pense, d’après les opinions exprimées sur l’actualité ou lors des débats inhérents à nos missions, que l’éventail des opinions politiques, était représenté dans notre petite équipe, de la gauche modérée à la droite, presque extrême.
Mon premier sympathisant d’extrême droite je l’ai rencontré à l’accueil social. Lecteur de Valeurs Actuelle, inconditionnel de Eric Zemmour, effrayé par l’immigration, honnissant l’islam. En plus c’était mon binôme et nous accueillons ensemble les «demandeurs». Excusez le terme, mais c’est comme ça qu’on les appelle. Cet homme anti immigration, critique acerbe de la politique migratoire du gouvernement et de l’argent dépensé pour les immigrés; anti islam, anti mariage pour tous, anti gouvernement a toujours reçu, les arabes, les personnes gay, les drogués, les malades mentaux, avec la plus grande gentillesse. Je l’ai vu rendre service spontanément, pour aller déménager un frigo du troisième étage d’un immeuble, en prêtant sa voiture et ses bras. Il a hébergé des demandeurs d’asile Arméniens, plutôt louches, pendant des mois. Ce paradoxe m’a beaucoup interrogé. Des certitudes tombaient. Je décidais alors de modifier ma grille de lecture de la société en remplaçant les qualificatifs bien pour gauche et mal pour droite par, bien pour qui a du cœur, mal pour qui n’en a pas.
Bien sur j’avais encore tort, c’est heureusement plus compliqué. Chaque personne est un cocktail de valeurs, de qualités et de défaut, qui fait qu’on p²eut ou pas les aimer. A moi d’apprécier ou non la saveur de chacun.
2-«Dieu a dit : je partage en deux, les riches auront la nourriture, les pauvres de l’appétit» (Coluche)
Au nom de la devise républicaine dont l’égalité est une valeur fondatrice, notre société a accompli et accomplit encore des efforts de justice. Il faut, bien sûr les reconnaître. Quels que soient les efforts, de tous temps et en tout pays, la justice sociale, aussi poussée soit-elle, laisse sur le carreau un certains nombres de personnes laissées pour compte pour lesquels la seule solution est la générosité qu’elle soit individuelle ou institutionnelle.
Prétendre que plus de justice sociale réduirait la charité à une pratique désuète c’est feindre d’ignorer que, aussi juste soit-elle, aucune société n’a résolu le problème de la pauvreté. Même si dans la France d’aujourd’hui la pauvreté n’a rien à voir avec celle du moyen age ou de celle qui est si répandue dans de nombreuses régions du monde, la pauvreté existe toujours et elle revêt cent visages. Le paradoxe dans notre pays qui assure au plus grand nombre, à grand frais pour les contribuables, un revenu minimum, c’est qu’avec les minimas sociaux on est pauvre, pas misérables, simplement pauvres. A pauvreté nouvelle, charité nouvelle.
Il ne faudrait pas, au nom de la générosité, s’accommoder d’une société inégalitaire ou la générosité serait l’affaire des nantis et la reconnaissance celle des pauvres. La charité personnelle est porteuse de bien trop d’ambiguïtés.
L’intervention d’organisations caritatives dans le processus atténue, je dis bien atténue et pas annule, les trois connotations négatives de la charité.
-Son caractère religieux. Pour certains avoir du cœur est un précepte religieux plus qu’une morale personnelle. Cependant de nombreuses organisations caritatives sont confessionnelles (y compris musulmanes ou juives)
-Son caractère humiliant pour les bénéficiaires. Si elle n’est pas un droit, l’aide est moins humiliante si elle est accordée selon des règles d’équité par une institution et non plus au bon vouloir d’un individu.
-enfin son caractère flatteur pour le donateur ou le bénévole
La charité est donc de moins en moins directe, elle ne passe plus par une relation de personne à personne. Toute une nébuleuse d’associations s’efforce de combler les lacunes de notre société en matière de lutte contre la pauvreté. Les dons d’argent, de nourriture, de vêtements ou autres biens matériels ne sont plus directs, des organisations souvent des associations, les restos du cœur, la croix rouge, la société Saint Vincent de Paul, les banques alimentaires, le secours populaire et le secours catholique procèdent à des collectes de fonds, de produits alimentaires ou de vêtements en lançant des campagnes de dons et des appels aux legs très médiatisés. Ils se chargent ensuite d’en assurer la répartition entre les bénéficiaires finaux ou des intermédiaires sur le terrain.. Les dons d’argent restent anonymes et le don de temps par les bénévoles se fait dans le cadre de processus qui s’inspirent des méthodes administratives.
Les bénévoles sont en contact avec les bénéficiaires mais n’engagent pas leurs propres deniers. Ils ne donnent que du temps. La charité aujourd’hui ne consiste plus seulement à donner de l’argent ou des objets utiles, mais à donner du temps.
Le bénévolat reste une manière charitable de donner aussi valorisée que valorisante. Il n’est pas exempt des ambiguïtés de la charité directe. La sincérité de l’engagement s’accompagne souvent de motivations spirituelles ou plus terre à terre. Les croyants, toutes opinions politiques confondues, constituent, selon moi, plus grand contingent de bénévoles on trouve ensuite des non croyants de gauche au nom d’une morale de l’égalité
Plus terre à terre sont les motivations de certains retraités qui ont tellement peur du temps vide que le bénévolat est pour eux une opportunité plus qu’une contrainte. Ils y trouvent une occupation qui n’est pas une simple distraction et a l’avantage d’être conforme au sens qu’ils veulent donner à leur vie. Ne croyez pas qu’enter en bénévolat est toujours chose facile. Il faut se faire parrainer, montrer pâte blanche. Certains bénévoles en poste défendent leur poste contre la concurrence de nouveaux arrivants. Je souligne que par deux fois j’ai employé le mot «certains». Le bénévolat recouvre une multitude de situations aux motivations complexes. La plupart des bénévoles ne recherchent ni visibilité, ni reconnaissance. Leur conscience, morale ou religieuse est le seul moteur. Ils n’attendent rien en retour ni des bénéficiaires, ni de la société.
Notre société laïque s’est dotée d’organisations associatives ou autres qui portent les actions charitables en leur donnant un cadre réglementaire. Les bénévoles peuvent y exercer leur générosité avec un minimum de contour narcissique.Il ne faut pas que l’arbre des quelques individus que le narcissisme pousse à rechercher des titres et de la reconnaissance cache la forêt de ceux qui sont en tous points désintéressés.
Notre propos est de méditer sur l’aide aux pauvres, appelons les, si vous voulez «les plus démunis». Je me rend compte que je traîte un sujet si délicat qu’il est impossible d’en parler en terme neutres. Le vocabulaire se construit et évolue en fonction de l’image que la société veut donner d’elle même en aidant ceux qui disposent de ressources insuffisantes pour vivre correctement. J’allais dire «dignement», Le terme était tentant, mais trop connoté, je l’évite donc. Les mots sont choisis pour dissimuler une double honte, en premier lieu celle d’avoir des pauvres dans un pays riche, en second lieu celle de trouver une satisfaction personnelle à les aider. C’est parce qu’une partie des hommes sont pauvres que d’autres exercent leur bonté.
5-On met un pognon dingue dans les minimas sociaux et les gens sont toujours pauvres (Emmanuel Macron)
Dans la perspective de la préparation d’une loi sur la pauvreté, le président de la république a prononcé cette phrase un peu brutale qui a fait polémique. Pourtant le diagnostic est juste. C’est un constat et un sujet de discutions permanent à l’accueil social. Dans un soucis d’équité nous examinons les ressources des personnes qui nous demandent l’accès à l’aide alimentaire. Force est de constater que la quasi-totalité des demandeurs bénéficient de ressources publiques.
Qui pourrait penser que les aides sociales peuvent faire des riches. Comme leur nom l’indique il s’agit de minima qui permettent juste d’échapper à la misère et à l’exclusion sociale. Les plus connus sont le RSA (550,93€) (revenu de Solidarité Active) pour permettre à des personnes d’échapper à la très grande pauvreté, la prime d’activité qui permet aux bénéficiaires du RSA d’accéder à des emplois sans perte de revenu, l’ASS (16,48€ par jour) (Allocation de Solidarité Spécifique) pour les chômeurs de longue durée ayant épuisé leurs droits à l’assurance chômage, l’AAH (860€ au 1er novembre) (Allocation Adultes Handicapés) pour les personnes handicapées, l’ASPA (833,20 max) (Allocation de Solidarité Personnes Agées) auparavant, minimum vieillesse, pour les personnes agées n’ayant pas ou peu de droit à une retraite. On peut y ajouter l’ADA (6,80€ par jour)(Aide aux demandeurs d’asile)
Les montants sont donnés pour une personne.
Les familles avec enfants bénéficient également des allocations familiales, comme toutes les personnes résidant en France, mais modulées en fonction du revenu. (Allocation familliale, allocation forfaitaire, complément familial, Allocation de soutien familial, et quelques autres plus spécifiques.
L’APL (Aide Personnalisée au Logement) calculée en fonction du revenu aide les plus modeste à payer leur loyer ou à accéder à la propriété.
Outre les prestations il existe aussi un accès dérogatoires à l’assurance maladie pour les non cotisants la CMU (couverture maladie universelle et pour certains étrangers l’aide médicale de l’Etat.
La tentation est de penser que la société a déjà fait son travail. Bien des familles s’en contentent, pourquoi aller au delà. Pourquoi ne pas se limiter à n’aider que les personnes pour lesquelles les prestations ne sont pas versées ou interrompues, ou bien ceux qui doivent faire face à des charges excessives, imprévisibles ou involontaires. Notre règle est de n’aider que lorsque le reste à vivre dans une famille est de moins de dix euros par jour et par personne.
Bien conscients que notre soucis de justice dans la charité, nous amène à singer l’administration, en établissant des tableaux excel et des dossiers remplis de photocopies de justificatifs nous compensons en personnalisant nos décisions. Pour ce faire une commission de tous les bénévoles discute de chaque cas. Discussions souvent passionnantes et passionnées dont la raison d’être était de ne pas laisser parler uniquement la logique des chiffres mais de donner une place au cœur. Ces discussions sont passionnantes et c’est sans doute elles qui m’ont conduites à cette fucking méditation.
Sous des formulations qui sont propres à chacun, selon sa sensibilité, nous avons souvent fait le constat que les aides sociales, sous toutes leurs formes, :constituent une charge énorme pour les finances des collectivités et de l’état, pourtant les personnes qui les perçoivent sont plutôt pauvres, vraiment pauvres, en tout cas précaires. Le moindre accident de parcours, la moindre négligence, oubli d’une démarche ou endettement, les fait basculer dans la nécessité et l’incapacité de subvenir à leurs besoins.
A ce titre je voudrais dire que aide sociale et charité ne sont pas synonymes. L’aide sociale relève de l’action publique et son moteur est la justice. La charité intervient dans les champs laissés en friche par l’aide sociale et son moteur est la générosité, on pourrait dire aussi le cœur.
Il y a toujours eu des pauvres et sans doute y en aura-t-il toujours. La problématique caritative est d’aider les personnes en difficulté à s’en sortir, quelle que soit l’origine des difficultés. La problématique de l’Etat, c’est ce qu’a voulu exprimer Emmanuel Macron, est de mettre en place des mécanismes, une dynamique économique et sociale qui permettraient aux gens de s’en sortir. Il est bien légitime de ne pas se satisfaire d’une nation qui s’accommoderait de «pauvres de pays riches» que l’argent public et les services publics, en particulier l’école obligatoire, rendrait presque invisibles. On serait tenté de penser que mieux fera l’Etat, moins la charité sera nécessaire.
6-Les hommes politiques ne connaissent la misère que par les statistiques. On ne pleure pas devant les chiffres (Abbé Pierre)
La France dispose d’un système social qui n’a pas son pareil dans beaucoup de pays du monde. Ce n’est me semble-t-il pas provocant de dire que cela coûte très cher à un pays juste pour éviter la misère et le déclassement social d’une partie de la population qui pour une raison ou une autre n’a pas ou plus accès à l’emploi. Faciliter l’accès à l’emploi est donc bien le moyen le plus efficace de réduire la pauvreté et son coût social.
Toutes ces prestations sont payées par les Caisses d’allocation familiales, (sauf ASS et ADA) La quasi totalité des personnes qui viennent solliciter l’aide alimentaire présentent le justificatif de leurs prestations CAF.
Insuffisants pour certains, excessifs et ruineux pour d’autres, les minima sociaux font débats. Un débat exacerbé parce qu’il s’alimente des controverses et souvent des préjugés sur l’immigration. J’évalue à neuf sur dix environ les personnes d’origines étrangères qui viennent solliciter une aide alimentaire. Toutes ou presque disposent d’un justificatif de la CAF ou un justificatif de l’OFI (office français de l’immigration) pour l’aide aux demandeurs d’asile. Les bénévoles les plus charitables ne laissent pas leurs opinions à la porte de l’accueil social. Autant de situations autant de questions pas toujours politiquement correctes
La plus courante. Doit on apporter un supplément d’aide, en l’occurrence alimentaire, à une personne ou une famille qui bénéficie de toutes les prestations possibles de la part des pouvoirs publics ?
Que Penser de toutes ces personnes que l’idée de se former ou travailler, sauf parfois au noir n’effleure même pas. Leur vie s’organise autour des aides sociales et de toutes les opportunités de trouver de quoi vivre pour pas cher ?
Doit-on considérer comme circonstance aggravante ou circonstance atténuante le fait que si la personne ou la famille ne joint pas les deux bouts c’est, parce que le budget est mal géré, parce qu’elle s’est endettée au delà du raisonnable, parce qu’elle exhibe un smartphone ou des sneackers plus chers que les tiens, parce qu’elle possède une voiture, parce qu’elle rentre ou part en voyage au pays ? Autant de dilemmes.
Doit on juger sévèrement la politique d’immigration parce qu’elle accorde le statut de demandeurs d’asile, avec logement gratuit, et aide financière à des personnes qui n’ont quasiment aucune chance d’obtenir l’asile ? Je pense à des matinées ou nous avons accueilli quatre à cinq familles d’Albanais. Que dire d’une procédure qui dure, recours compris, plus de deux ans. Pendant ces deux ans les enfants scolarisés ont apprit le français et se sont intégrés et des bébés sont nés en France. Que dire si une fois tous les recours épuisés ces gens restent sur le territoire, théoriquement sans aucune ressources. Dépendant effectivement de l’aide de leurs compatriotes ou d’associations.
Que doit-on penser de femmes musulmanes qui, viennent voilées, ne s’expriment qu’en arabe et ne comprennent pas le français. Elles nous regardent avec condescendance et ne tolèrent pas un refus. Elles se connaissent entre elles et il serait difficile de ne pas voir qu’elle vivent dans une bulle communautaire sans volonté d’intégration. Elle viennent cependant chercher ce qu’elles considèrent comme un droit.
Notre morale et nos préjugés nous inclinent à la générosités plutôt envers ceux que la maladie, le handicap ou la vieillesse ont marginalisés, ceux que le chômage et l’éclatement de leur famille a fait dégringoler et qui se battent malgré les obstacles, ceux qui ont des enfants et que les enfants doivent bien manger et ne pas être humiliés.
Aider c’est entrer dans les entrailles de la société, s’orienter dans des systèmes administratifs complexes parfois généreux, parfois injustes, c’est rencontrer des détresses, être confronté à des humains si proches et si différents de nous. C’est apprécier sans juger. C’est essayer d’être justes et sans préjugés et pour ça il faut apprendre à être à la fois empathique et ferme. Cette mission ne laisse pas indifférent elle touche à la morale et aux valeurs.
On ne sort pas complètement indemnes des permanences face à un défilé de personnes de toutes origines, certaines sympathiques, d’autres gênée, honteuses d’être réduites à quémander, certaines agressives, quelques unes assommées par des médicaments, des dignes, des combatives, des résignées, des propres et bien vêtues, des négligées. Toutes sont contraintes de justifier de leur situation. Certaines le font avec franchise et sans émotions apparentes, d’autres devant des oreilles bienveillantes déballent tout, impossible de les arrêter. Quelques unes craquent et fondent en larme, il faut tirer les vers du nez à celles qui ne comprennent pas pourquoi on veut tout savoir pour un peu de nourriture. Pour celles qui ne parlent pas le français on improvise en anglais, en espagnol, quelques mots en arabe (moi) en russe (mon collègue) on lance google traduction en albanais sur un smartphone. Il nous est même arrivé exceptionnellement d’être menacés. Nota : le féminin s’accorde au mot personnes.
On échange entre bénévoles, chacun s’exprime et agit en fonction de sa sensibilité, de ses idées politiques, de ses croyances, de ses préjugés aussi. Ce qui nous réunit c’est l’empathie et le soucis de justice, mais aussi nos interrogations sur notre manière d’agir et même notre utilité réelle.
Avec le temps guette l’usure. L’empathie et le désir de d’être utile ont guidé nos premiers pas. Paradoxalement l’expérience est contre-productive parce qu’elle émousse l’élan généreux qui nous avait motivé.
Mieux on connaît les systèmes d’aides sociales et d’intégration plus on devient critiques vis à vis des pouvoirs publics. De plus, connaissant les failles du système on s’interroge sur notre place et notre rôle. Dans un premier temps on a l’impression d’être mieux armés et moins naïfs pour décider de qui mérite ou pas d’être aidé, on écoute avec plus de distance, ensuite on devient soupçonneux vis à vis des demandeurs qui profiteraient des failles du système pour obtenir une aide indue. La méfiance remplace la bienveillance.
On plaide plus souvent pour des refus. Nos dirigeants nous engagent à limiter les accès à l’épicerie solidaire parce que la collecte d’aliments auprès de la banque alimentaire diminue. Il nous est demandé de refuser plus souvent, de limiter la durée des droits d’accès à six mois par an, de tenir compte du comportement à l’épicerie, d’être plus vigilants à l’égard des demandeurs d’asile. Ces demandes entraînent des discussions sans fin entre bénévoles parce qu’on veut rester justes. Finalement notre manière d’agir se rapproche de celle de l’administration.
Les demandeurs passent des exigences de l’administration aux exigences des organisations caritatives. Entretiens, justificatifs, tableaux excell, reste à vivre, remplacent la générosité. . Le désir de justice sape le fondement même de la charité : l’empathie
On croit cependant à cette manière adminitrative et comptable d’agir mais on y perd petit à petit son âme. On se réveille un jour ou la subjectivité, un élan du cœur, pousse à passer outre les fiéfées règles et à dire oui quand même. On se fait remonter les bretelles et c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase..
Ce jour là, je suis parti. Je suis parti parce que je n’ai pas supporté de m’être endurci. La charité ne va pas sans la honte qui lui est consubstantielle aussi bien pour l’aidé que pour l’aidant. Vous venez de lire la fucking méditation que m’a inspiré cette expérience. Ceci dit je n’ai rien de mieux à proposer. Simplement j’ai appuyé sur le bouton pose.
Le 1er novembre 2018
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