jeudi 1 septembre 2016

Des nouvelles de Cassy


Des nouvelles de Cassy





Mon dernier séjour à Nouméa remonte à deux ans et demi. Que le temps passe vite !

Toute la petite famille était venue en France en juin 2015 pour faire un bilan santé de Cassy, adapter son traitement et faire fabriquer un corset destiné à contenir et ralentir la scoliose dont les premières manifestations devenaient inquiétantes.

J’ai appris, avec l’aide de Skype, à vivre loin de mes enfants et petits enfants. Internet et Air France ont, en quelque sorte, rétréci le monde et la distance n’est pas un obstacle à l’affection.

Je viens régulièrement à Nouméa, tous les deux ans environ, et quand j’atterris à Tontouta, sonné par trente heures de voyage, j’ai le sentiment curieux que le temps intercalaire, que j’occupe pourtant à mille activités, est aboli et que le fil de mon existence Calédonienne n’a pas été interrompu. Je me réinstalle dans la vie d’ici et je vis à Nouméa, comme chez moi, à Montpellier. Je ne m’y sens pas touriste en vacance, mais comme dans ma ville, familière et intime.

L’accueil de Cassy me conforte dans ce sentiment de continuité. A l’évidence elle me reconnaît. Son regard qui ne me quitte pas et son sourire heureux ne laissent aucun doute. Elle manifeste, non dans la joie, dont elle ne connaît pas l’expression, mais dans un sorte mimique de bonheur, à la fois son souvenir de moi et le plaisir de me retrouver. En quelques instants la connexion d’affection est effectuée.

Aujourd’hui, je n’écris pas sur le vif, comme je l’avais fait lors de mon dernier séjour en décrivant le déroulement d’une journée de Cassy. Le contexte de ma visite est différent et je n’ai pas à m’occuper véritablement d’elle. Je ne donne même pas un coup de main, je passe pour le plaisir des moments avec elle.

La vie de Cassy est organisée jour par jour, heure par heure. Deux jours au centre d’accueil flambant neuf de Nouville, deux jours avec une aide maternelle spécialisée. Le mercredi est réservé à sa mère. Nous sommes au mois d’août, fin de l’hiver calédonien, pas vraiment une période de vacances. Les parents sont en pleine vitesse de croisière professionnell. Je peux vous dire que ça ne chôme pas.

Cassy, ceux qui m’ont déjà lu le savent, est atteinte d’une forme grave du syndrome de Rett, elle ne parle pas, ne marche pas, n’a pas l’usage de ses mains, elle est totalement dépendante pour tous les gestes de la vie courante. Il faut donc, la lever, la laver, l’aider dans ses besoins, la changer, la nourrir.... mille et un gestes à effectuer tout au long de la journée.

Le matin est le moment de la mise en route. Le grand frère de Cassy est en CM2 et requiert sa dose d’attention, pour être à l’heure à l’école, bien nourri, bien habillé, les devoirs faits et vérifiés, les leçons apprises et récités. Chacun sait que ça dépote le matin dans toutes les familles dont les parents travaillent et dont les enfants vont à l’école.

Il n’est déjà pas simple d’organiser un départ à l'école et au travail de toute une famille, ça l’est encore moins quand il faut préparer une petite handicapée avec tout son bardas. Il faut qu’elle soit lavée changée, habillée, nourrie pour commencer sa journée comme tout le monde. Son repas du matin, donné à la Cuillère, prend au moins une demi heure, quand l’appétit de mademoiselle est au rendez-vous. Et bien croyez moi si vous voulez, mais l’habitude et l’organisation aidant, tout se fait avec un naturel désarmant, dans la bonne humeur, les sourires et en prime plein de câlins.

Cassy a 7 ans, c’est maintenant une petite fille et elle a bien grandi, un long corps tout en membres fins. Ce que cette maladie a de terrible c’est que la restriction de mobilité qu’elle entraîne à une infinité de conséquences négatives. Pas de muscles donc pas de tonicité. Pas de marche donc les pieds se déforment au niveau des chevilles. La colonne vertébrale n’est pas tenue donc la scoliose s’installe. Les organes internes ne sont pas stimulés par le mouvement, entraînant des problèmes de transit. L’absence de position verticale se traduit par des problèmes de développement osseux et une fragilité du squelette. J’en oublie sans doute.

Pour compenser tous ces inconvénients, plus Cassy avance en age, plus le recours à des appareillages adaptés s’impose. Le premier fut un siège adaptable sur un support à roulettes, avec des harnais pour la tenir. Ce siège a du être renouvelé en devenant plus moulant pour le corps et plus enveloppant pour la tête. Ensuite est venue une poussette adaptée à sa taille. Sont apparues ensuite des coques pour éviter la déformation des pieds, puis le corset pour la scoliose qui a nécessité, pour sa conception et sa fabrication, un voyage en France. Le dernier des équipements est le verticalisateur, qui est une sorte de coque intégrale en résine rose garnie de mousse et munie d’un nombre impressionnant de sangles dans laquelle elle est immobilisée en position verticale, munie de sont corset et de ses coques à chevilles. Je dois avouer que quand j’ai vu cet instrument, je ne devrais pas employer ce terme, trop connoté, j’ai eu vraiment un élan de pitié. Et pourtant Cassy semble apprécier de passer chaque jour un moment, sanglée verticale dans son moule en regardant un dessin animé sur la télévision.
La  répulsion première ou peut-être plutôt l'élan de pitié, à la vue de ces équipements aux couleurs joyeuses, qui occupent de plus en plus de place dans la maison, est due au fait qu’ils renvoient cruellement à cette incontournable réalité du handicap. Alors on se raisonne et puis on s’habitue. Ce sont d’indispensables instruments soit de confort, et l'enfant les apprécie, soit de contrainte et l'enfant les redoute. Certains comme le corset entraînent une souffrance, nécessaire, certes, mais Cassy n’a pas mérité ça.

Les équipements sont nécessaires mais pas suffisants. La nécessité d’une présence professionnelle, hors soins de vie quotidienne, s’accroît également. Outre l'orthopédiste qui régulièrement mesure et moule, une kiné intervient tous les jours ou presque pour tonifier, remettre en place, mettre en mouvements les membres pour éviter qu’ils ne s’enquilosent, compenser et éviter les déformations.

Cassy demande beaucoup de manipulations, il faut la porter du lit au siège, du siège au transat de bain, puis au tapis, ensuite à la voiture. ll faut la poser, la soulever à bout de bras à de nombreuses reprises dans la journée. Elle pèse maintenant qinze kilo. Je vous laisse imaginer ce que représente la manipulation répétée d’un corps aussi inerte et fragile. Un faux mouvement et c’est le dos cassé pendant plusieurs jours. Je n’imagine pas l’avenir quand le poids de Cassy dépassera les forces d’un humain normalement constitué. L’habitude ne suffira pas. Pour ma part, je ne suis plus tout jeune, mais quand même costaud et j’ai du mal à la manipuler. Je ne parviens pas à l’installer dans son siège de voiture. Il faut, dit-on, avoir l’habitude.

Je ne brosse pas un tableau sombre destiné à apitoyer, je fais le constat de la réalité de la vie avec un enfant poly-handicapé, de plus en plus difficile avec la montée en age, parce que la croissance apporté son lot de dérèglements physiques et donc des contraintes de prise en charge. Simplement parce que le corps humain n’est pas fait pour l'immobilité, les contraintes du soins des filles Rett s’accroissent avec l’age.

Je n'ai évoqué que les conséquences physiques de l’immobilité, je n’ai toujours pas parlé de la santé, du moral et des progrès de Cassy .

Depuis presque un mois que je suis ici, Cassy va bien. Elle avait été hospitalisée quelques semaines avant mon arrivée pour un problème de douleurs aux jambes. Je sais qu’il y a des hauts et des bas. Pour ce qui me concerne, je n’ai assisté en début de séjour qu’à une petite crise d’épilepsie. Depuis tout va bien, elle mange avec appétit, elle sourit beaucoup, est très présente à son entourage, éveillée et souvent même coquine. Elle a de belles joues et n’a eu que de rares passages neurasthéniques ou tête baissée elle quitte un moment la société pour se réfugier dans une insondable tristesse. Elle dort bien, ne pleure pas, ne râle pas et profite pleinement de l’affection qui l’entoure.

Je trouve que Cassy a grandi, son caractère s’est affirmé. Quand je le dis, cela signifie que ses capacités de communication ont progressées. Elle exprime de manière plus visible son plaisir ou son déplaisir. Elle attire l’attention pour faire comprendre que c’est le moment du dessin animé. Elle s’installe alors, le regard figé sur l’écran, un sourire ce satisfaction aux lèvres. Depuis toujours Cassy aime les écrans. La Kiné, quand elle est là, ordonne d'éteindre la télévision, sinon Cassy se contorsionne pour se tourner vers l’image, ne prêtant aucune attention aux exercices.

Les repas sont d’actifs moments de communication. En ce moment elle est plutôt en appétit et ne serre les dents que le temps d’une pose. Généralement elle prend ses repas principaux, composés de soupes contenant tous les nutriments nécessaires et les médicaments, avec une résignation consentante . Elle ne manque jamais de vérifier d’un coup d’oeil ce qu’on va lui donner, avant d’attaquer le repas, ce qui ne l’empêche pas de vérifier longuement le goût de la première bouchée avant de se lancer pour de bon. Elle fait comprendre son goût ou sa répulsion pour certains aliments. Elle observe, va du regard chercher une information pour ce rendre compte de ce qui l’attend. Elle peut gratifier celui qui la nourrit d’un sourire ou le punir d’un puissant jet de soupe soufflé avec la bouche. Elle entrouvre à peine les lèvres pour une cuillerée de soupe et ouvre la bouche comme un hypopotame pour un minuscule morceau de ships. Elle multiplie les mimiques et je pense qu’elle est convaincue d’avoir autorité sur son repas et qu'elle impose sa volonté. Cassy s’est affirmée.

Elle joue parfaitement, avec ses moyens, son rôle dans la famille. Elle a sa place, celle d’une petite personne différente, dont on oublie le handicap pour établir une relation particulière, affectueuse et gratifiante. Cette place c’est la sienne, unique et irremplaçable.

Ce qui me surprend et ne manque pas de m’émerveiller, c’est que, malgré les contraintes qui ont tendance à croître la situation à la maison n’empire pas, les parents l’ont bien en main. Le handicap se fait discret, il n’est pas nié, bien au contraire, il est maté. Relégué dans un coin sombre par la joie et l’amour qui ne lui laissent que peu de chance de venir gâcher la vie.

Bien sur, de temps en temps son poids de tristesse regagne du terrain. Certaines dates, surtout anniversaires, viennent rappeler que la vie aurait pu avoir un cours plus léger. La rencontre d'enfants valides du même âge fait prendre cruellement conscience que, sans une erreur de la mécanique génétique, Cassy pourrait ce soir revenir de l’école. Mais l’amour c’est l’amour et pour contre rien au monde on ne changerait Cassy.

Je ne suis pas un adepte de la collection Arlequin, mais je vous assure que Cassy vit dans une bulle d’amour infini. Sa mère autant que son père, son papa autant que sa maman (c’est volontaire si je répète en changeant les termes et en inversant l’ordre de citation) ne sont pour elle que mots doux et câlins, A tous moments, en toutes situations Cassy est inondée d’amour. Et cet amour elle le renvoie. Plus que tout elle aime les câlins, se laisser bercer aux battements des cœurs tous proches et alors elle jubile, et alors elle exulte. Elle fait les yeux doux et de merveilleux sourires. Cassy baigne dans un océan d’amour et cet amour elle a la capacité inouïe de le rendre au centuple

Il faut voir les fêtes qu’elle fait à ses parents, son frère, sa kiné, toutes les intervenantes et même les amis de ses parents quand ils viennent la saluer. Je suis convaincu que si Cassy va bien, qu’elle a fait des progrès et qu’elle communique mieux, c’est parce qu’elle se sent bien, entourée et infiniment aimée.

C’est seulement dans l’amour que peut éclore la joie. Personne dans la maison ne crie à l’injustice, ni ne prend Dieu à parti. Ce qui est dur est assumé, mais sans acrimonie. La vie est là, deux enfants, des métiers épanouissants, des amis à foison, parce que personne ne va vers la tristesse, et un pays magnifique ou il fait bon vivre. De la joie il y en a plein la maison. J’ai passé un mois heureux à jouer, sans sur-jouer, mon rôle de grand père dans une famille que le handicap d'une enfant a rendue plus forte et plus chaleureuse. J’ai rechargé mes batteries de cette force et de cette joie de vivre.

Cassy va bien en ce moment, mais surtout tout va bien autour de Cassy.










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