Le processus
de décolonisation de la Nouvelle Calédonie engagé par les accords
de Matignon en 1988, mais surtout par les accords de Nouméa de 1998
revêt un caractère exemplaire, voire unique, dans la lourde
histoire de la décolonisation française ; en effet pour la
première fois les populations non autochtones font partie intégrante
du processus. « Ils sont admis à la table » considère
Louis José Barbançon lors de son allocution introductive au
colloque de 2013, commémorant le 25ème anniversaire des accords de
Matignon.
Cette
exception calédonienne, on la doit à la conception élevée de la
Politique de Michel Rocard et de Lionel Jospin sous l'égide desquels
ont été négociés respectivement les accords de Matignon et ceux
de Nouméa, mais surtout aux personnalités exceptionnelles qui les
ont négociés et qui ont été capables de convaincre leur camp de
la nécessité du pardon, de l'oubli des rancœurs et de
l'incompréhension. Il n'est pas étonnant à entendre Aimé Césaire
s’enthousiasmer sur Matignon qu'un homme comme Jean-Marie
Tjibaou ait accédé au statut d’icône: « Cette percée,
cette avancée, cette victoire. Et d'abord une victoire sur soi... la
plus grande des victoires, sur la douleur intime, sur le
ressentiment, sur la légitime méfiance. » (cité par LJ
Barbançon).
Matignon et
Nouméa sont deux accord à la portée et au contenu différents :
Les accords
de Matignon ont une portée hautement symbolique. Ils amorcent le
début d'une volonté commune entre deux communautés, marquées par
plus d'un siècle d'exaction de massacres de destruction, de lever la
méfiance, de discuter et de créer les conditions du vivre ensemble
en harmonie, ce qui est l'essence même de la politique. Cet accord
prévoie une période de développement de dix ans, avant que les
Néo-Calédoniens ne se prononcent sur leur indépendance. Ils
amnistient les massacres d'Ouvéa qui ont fait quatre morts parmi les
gendarmes et dix neuf chez les indépendantistes. Il n'y aura donc
pas de procès.
Le
référendum d'approbation donnera 80 % de oui mais avec un taux
d'abstention de 63 %, c'est dire le peu d'intérêt suscité par
les affaires calédoniennes auprès de la population. Cet accord
donnera lieu à une poignée de main devenue célèbre entre Jacques
Lafleur, chef de la délégation anti-indépendance et Jean-Marie
Tjibaou représentant le FNLKS front indépendantiste.
Les accords
de Nouméa marquent véritablement le début du processus de
décolonisation. Ils repoussent l'autodétermination jusqu'à une
période située entre 2014 et 2018. Nous y sommes ! Mais ils
définissent concrètement le transfert progressif des compétences,
hors défense, au territoire. L'intérêt des Calédoniens pour leur
destin s 'est considérablement accru puisque le taux de
participation au référendum sur le territoire, a été de 74,2 %
pour 72 % de oui
Ce texte met
en avant deux notions qui constituent les valeurs fondamentales de la
société calédonienne : la double légitimité des Kanaks et
non Kanaks et le destin commun.
La
légitimité Kanak permet leur reconnaissance en tant que peuple
autochtone et civilisation avec leurs langues, leur culture, leurs
traditions, la coutume et leur droit.
La
légitimité des nouvelles populations « venues contre leur
grès ou cherchant une deuxième chance... convaincus d'apporter le
progrès.... » , langage prudent dont on perçoit que chaque
mot a été pesé et discuté : « reconnaissance des
ombres de la période coloniale même si elle ne fut pas dépourvue
de lumières …. »
Il s'agit de
refonder un lien social durable entre les populations et de définir
une citoyenneté de Nouvelle Calédonie. Un statut civil particulier
doit être inventé pour permettre l'expression du droit coutumier.
Il n'est pas étonnant que les juristes puristes s'arrachent les
cheveux à la lecture des textes.
La
reconnaissance des autorités coutumières dans les sphères
sociales, de la médiation, pénales,et des décisions économiques
et politiques se traduit par la transformation du Conseil Consultatif
Coutumier en Sénat Coutumier qui est le pendant autochtone du
Conseil économique et social.
La
Communauté de destin choisi, peut donner lieu à un choix ouvert,
une fois terminée la période de transition. Le temps est un élément
déterminant tant des accords de Matignon que des accords de Nouméa.
Dix ans, puis Quinze ans pour permettre d'avancer pas à pas et
d'expérimenter le vivre ensemble des communautés. Et aujourd'hui ce
n'est pas deux, mais une multitude de communautés qui se côtoient
en Nouvelle Calédonie. Dix ans plus quinze ans c'est une génération.
Des jeunes qui, les progrès de la scolarisation aidant, ont côtoyé
les bancs des mêmes écoles, collèges et lycées et pour lesquels
le vivre ensemble est une évidence.
Que va-t-il
se passer à partir de 2014 ? les élections provinciales de
2014 vont permettre aux forces de se compter. La période
référendaire sera ouverte en mai. Un premier référendum doit être
organisé, s'il aboutit à un rejet de l’accession, un deuxième
référendum peut-être organisé sur demande écrite du tiers de
membres du congrès, soit 18 élus, au haut commissaire. Ce second
référendum doit être organisé dans les 18 mois après la demande.
En cas de nouveau rejet il y a une incertitude juridique sur la
légalité d'un troisième référendum qui serait organisé dans les
mêmes conditions que le second, ou bien, l'examen par le Comité des
signataires des modalités de mise en œuvre de l'accord.
En tout état
de cause le processus doit être achevé au moins 6 mois avant la fin
de la mandature.
Pour ces
consultations le corps électoral sera encore plus réduit que pour
les élections provinciales, soit ceux qui ont, ou auraient pu,
participer au référendum de 1998 et ceux qui peuvent justifier de
vingt ans de domicile continu en Nouvelle Calédonie.
Beaucoup a
été fait depuis vingt cinq ans en Nouvelle Calédonie, sur le plan
des équipements, de la scolarisation, de la formation du
développement économique, particulièrement l'exploitation du
nickel. Les jeunes ont grandi ensemble, de nouvelles communautés se
sont développées qui veulent profiter de la paix sociale. Le temps,
me semble t-il, ne joue pas en faveur de l'indépendance. Est-elle
même réaliste ? Les indépendantistes y croient t-ils eux-même
encore ? N'ont-ils pas seulement intérêt à montrer leurs
muscles pour obtenir aux élections provinciales des résultats qui
leur permettront de rééquilibrer en leur faveur le rapport de force
et de peser sur les négociations à venir.
En tout cas
l'ambiance semble sereine en ce début d'année 2014, on ne sent pas
de panique, ni même de crainte. Les affaires continuent, apparemment
sans attentisme. Il y a encore un peu de temps d'ici 2018.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire