Les aires coutumières ne
sont accessibles aux visiteurs, qu'après avoir obtenu l'autorisation
du chef. La grande case de Sarraméa, perchée en haut d'une vaste
esplanade en herbe, bordée de pins colonnaires et de cocotiers, plus
que centenaires, sur le bord de la route de Petit Couli est
particulièrement majestueuse. Mais voilà le chef est introuvable.
Je suis venu exprès, aussi c'est dépité que je m’apprête à
reprendre la route. Alors que je quittais le petit Parking, un 4*4
s'arrête pour déposer un Grand homme chauve costaud, d'age mur. Je
passe la marche arrière, reviens au parking, sort de mon véhicule
et me fait immédiatement apostropher : « Vous cherchez
quelque chose ? » ; ton bourru ! « Oui je
cherche le Chef », C'est moi qu'est ce que vous lui voulez ? »
Je m'approche lui serre la main, me présente, lui fait part de mon
intérêt pour la culture Canaque et pour l'histoire de la Nouvelle
Calédonie. Je raconte ma visite à l'exposition du musée du Quai
Branly et mon souhait de partager son savoir sur le terrain. J'ai
passé l'épreuve avec succès, le Chef m'écoute attentivement,
m'informe qu'il est en mesure de m'exposer l'histoire de sa tribu et
de m'expliquer le sens des différents éléments de l'aire
coutumière et s'inqiète du temps que je pourrai lui consacrer car
cela prendra au moins demi-heure... Bien sur, moi, j'ai tout mon
temps, mais je ne voudrais pas abuser du sien et souhaite, bien sur,
le dédommager. Ce que je lui propose lui convient tout à fait. Il
me demande deux minutes, pour aller chercher des documents chez lui.
Et c'est parti pour plus de deux heures et demi d'un exposé
passionnant, documents à l'appui. J'ai sorti mon petit cahier et mon
appareil photo, noté tout ce que j'ai pu et photographié tout ce
que j'ai voulu. C'est ce récit que je reprends ici, tel qu'il a
été énoncé. Je n'ai fait aucun recoupement historique, ou de
dates. Il se peut que parfois, j'ai mal noté ou omis de demander une
précision ou même que certains points relèvent plus de la légende
que de la vérité historique.
Avant de me présenter
l'aire coutumière, le chef Bergé de la tribu Kawa a tenu à me
présenter l'histoire des Kawas
Tournant le dos à la
grande Case il me montre à l'ouest, la plaine côtière, me désigne
un point ou se rencontrent deux montagnes et dit. « ma tribu
vient de là bas, elle était installée à l'embranchement actuel
des routes de Sarraméa et de Farino, on est en 1878, les autorités coloniales ont concédé les bonnes terres à des colons dont de
nombreux bagnards du bagne de la Foa, ayant purgé leur peine. Les
tribus ont été repoussées au pied de la chaîne, dans des terres
pentues et moins fertiles.
L'été 1878 est
particulièrement sec. Le Bétail des colons, s'échappe et vient,
pour se nourrir , saccager les terres indigènes, détruisant les
cultures vivrières.
Devant ce fléau, le chef
Braïno, ( ce qui signifie qui a peur de la parole) grand père (je
pense plutôt arrière grand père, mais le terme de grand père
s'applique aussi pour des ascendants plus anciens, y compris pour les
frères de cet ascendant). réunit tous les chefs de clans, Ils sont
Treize, sur la photo, devant la grande case, représentant chacun
environ trois cent personnes. Braïno est le quatorzième, au centre
sur la photo, habillé à l'européenne avec un parapluie. Il parlait
un peu le français.
Lors de ce Conseil, il
est décidé que Braïno, irait à Focala rencontrer les autorités
occupantes pour demander l'arrêt des concessions de terres et la
maîtrise du bétail des colons par la pose de clôtures. Il se
rendit au bagne ou se trouvait la garnison, y fut courtoisement reçu
et obtint la garantie que sa requête avait été entendue et qu'une
solution serait recherchée.
C'est avec ce message
d'espoir qu'il revint auprès des chefs de clans, pour que ceux-ci
transmettent une parole d'apaisement, de patience et d'espoir aux
familles placées sous leur autorité.
Cependant au bout de
quatre mois, rien n'avait changé, la famine gagnait du terrain dans
les tribus. Une seconde visite aux autorités, fut tout aussi
courtoise. Le message de patience fut renouvelé ; « tout
ne peut pas se faire en un jour, les dispositions sont prises...
soyez patients. »
La patience dura encore
quatre mois, mais la famine s'aggravait et la colère montait. Ataî
le frère de Braïno demanda à participer à la troisième entrevue.
Le matin même il prépara deux petits sacs, l'un rempli de bonne
terre, l'autre de cailloux. L'entretien fut moins courtois :
« Si vous êtes pressés, construisez vous-même votre
barrière ! » « On construira notre barrière quand
les ignames sortiront de terre et viendront manger votre bétail »
leur fut-il répondu. Ataî vida son sac de bonne terre et dit,
« voilà ce que vous nous avez pris » ; puis vida le
sac de caillou et dit : « voilà ce que vous nous
laissez. »
De retour dans la tribus
Ataï dit « écoute mon frère pense aux femmes et aux enfants
qui n'ont rien à manger. ». Il dit qu'il ne veut plus attendre
et fait le tour des tribus pour chercher des partisans. Ces quelques
hommes résolus, s'en prennent aux installations et au bétail des
colons les plus proches de leurs terres.
C'est alors que commence
l'escalade qui va aboutir au massacre de milliers de Canaques. Les
autorités françaises traversent la chaîne et vont convaincre des
chefs des tribus de l'est, qu'ils savent en rivalité ancestrale avec
les tribus de l'ouest de combattre avec eux moyennant des fusils et
une prime à la tête de Canaque, tué.
Le massacre des tribus
commence alors, avec l'aide du grand chef Nandou et des tribus de
l'est qui passent la chaîne en direction de l'ouest,. Tous,
femmes et enfants compris sont exterminés ;
Cette période durera
trois ans et va voir disparaître une grande partie de la population
autochtone.
Sur une ligne de crête
au sud de la Foa, se déroulera la bataille finale. Ataï tuera dans
une embuscade le Colonel commandant les troupes françaises et fut
par la suite encerclé et tué.
Les prisonniers Canaques
furent envoyés au bagne, à l'île des pins, aux îles Belep
(extrème nord de la Calédonie, à l'ïle Torres ou aux Gambiers
(Tahiti)
Ataï deviendra le
symbole de la résistance Canaque . Sa tête finira au musée de
l'homme ou elle se trouve encore, malgré les demandes
réitérées des autorités coutumières de la faire rapatrier afin
de donner à Ataî des fun sur sa terre natale. Voir la photo de la
réponse de mars 2013 faite au nom du Président de la république,
François Hollande, à Bergé Kawa qui sollicite cette restitution.
Encore une réponse d'attente...
Bergé est donc le
descendant d'ancêtres illustres. Son père lui même à combattu
auprès des troupes françaises pendant la seconde guerre mondiale.
Il faisait partie de la division blindée de Lybie. Il pénétra à
Tripoli avec les troupes Françaises. Il est le seul Canaque a porter
le titre prestigieux de Compagnon de la Libération.
Bergé, lui même, à participé au début des année 1980, à l’élaboration du cadastre des tribus
Kanaks, pour la région de la Foa,, dans le cadre de la politique
initiée par François Mitterand de restitution des terres indigènes.
Ce travail, voir photo a été reconnu par les autorités françaises
, en particulier par le ministre Louis Le Pensec qui l'a pris comme
modèle. Aujourd'hui il reste sept tribus sur les quelques trois cent
du siècle dernier.
Au titre du sénat
coutumier, Bergé a participé à Genève en 2006, à l'élaboration
du projet de charte des Nations Unies sur le Droit des Peuples
Autochtones.
La zone coutumière,
telle qu'on la voie aujourd'hui, date de 1881. Le site en a été
choisi par le grand père Braïno, pour sa ressemblance avec le site
initial. Les pins colonnaires et les cocotiers ont donc plus de 130
ans.
Les pins symbolisent les
hommes et les cocotiers les femmes. Il alternent le long de l'allée
centrale, par contre le cercle autour de la case, n'est composé que
de pins. L'un d'entre eux a été planté en l'honneur de Pierre
Joxe.
Le poteau de Bambou, avec
le drapeau Kanak et le Poteau incliné vers la case, (Symbole
d'humilité) sépare la zone des chefs de famille de celle du tout
venant, des femmes et des enfants. La porte de la case, elle même
est basse et exige de s'incliner pour y pénétrer.
Lorsqu'un litige survient
dans la communauté (foncier ou autre) le Chef convoque l'ensemble de
la population. Chacun arrive avec des dons en nourriture qui servent
à la préparation, par une famille, dont c'est la mission
traditionnelle, d'un repas commun.
Les chefs de famille
prennent place au delà du poteau, le Chef les invite, ainsi que les
plaignants à entrer dans la case. Le personnage sculpté à l'air
inquiet à droite de la porte de la case symbolise les craintes du
plaignant à son entrée dans la case, le personnage joyeux à gauche
le représente sortant soulagé après le procès. Le personnage noir
central avec la langue rouge représente la parole.
Le Jugement est rendu
publiquement par le chef au niveau du poteau incliné. Chaque partie
est amenée à accepter la décision, s'engage à faire la paix avec
l'autre. Un échange de monnaies Canaques scelle le jugement. Le
repas pris en commun symbolise la paix sociale retrouvée.
Concernant la case, on
remarque a mi-toiture, deux fourches et deux bâtons, disposés en
croix, qui sortent du Chaume. En fait ils sont tous les quatre reliés
au poteau central et symbolisent la réconciliation. (fourche :
deux branches qui se rejoignent), la réconciliation a lieu à
l'intérieur. L'extérieur n'est pas propice à la Réconciliation.
Le poteau central
représente le chef, les branches qui tiennent le toiture et
convergent vers le haut, les différentes tribus, elles sont reliée
entre elles par une liane végétale embobinée qui représente leur
cohésion. Le tissage de palmes à l’intérieur de la toiture
représente l'élément féminin (femme, mère)
Dans chaque grande case
il y a un foyer. Le feu est allumé lorsque les chefs de famille
délibèrent.
La flèche faîtière est
également Chargée de symboles. Sept conques représentent les sept
tribus. Il n'en reste que cinq, les tempêtes en ont emporté deux.
Le demi cercle blanc, avec deux pointe tournées vers le ciel
représentent l'aigle, et signifie « la coutume règne dans les
airs », le losange rouge au milieu, une pirogue. Il représente
les tribus du littoral, celles dont l'élément est la mer. Le demi
cercle blanc avec les pointes tournées vers le bas signifie
l'ancrage à la terre. « La coutume règne sur la terre »
La toiture de la grande
case est usée, voilà trente et un ans qu'elle n'a pas été
renouvelée. Normalement elle est changée tous les vingt cinq ans et
demande dix jours de travail à dix hommes. Mais voilà les jeunes
aujourd'hui demandent combien ils seront payés, et Bergé est bien
impuissant devant le problème de la nécessaire rénovation de sa
chefferie.
Après un premier contact
assez froid avec le chef, mais c'est un jeu pour tester son
interlocuteur, cette après- midi a été riche d'enseignements et
d'échanges. Je ne croyais pas entrer aussi directement au cœur de
l'histoire Calédonienne et retrouver le mythiques Ataî, sur ses
terres et dans sa famille. Tout se fini par une photo chaleureuse
devant la case. Le grand chef remercie Dieu pour cette rencontre. Je
suis toujours surpris de voir à quel point la religion est
importante pour de nombreux autochtones.
S'il y a une leçon à
tirer, c'est celle de l'importance de la parole. La parole pour
négocier et apaiser, la parole plutôt que la violence. Les Canaques
ont, et ont toujours eu, le sens du dialogue et de la négociation.
Bien sur on ne le leur a jamais reconnu, le colon convoitait la terre
et la richesse et il n'y a que la force pour spolier un peuple.
Nota : Le terme
Kanak a été adopté dans le cadre de accords de Nouméa, il est
donc issu de l'histoire récente, c'est pourquoi, je lui préfère
souvent le terme Canaque, sans lui donner la moindre connotation
négative.
Il a l'air charismatique cet homme là... Tellement charismatique que j'en ai eu des frissons à la huitième photo... Brrrr.
RépondreSupprimerSinon c'est chouette, j'avais oublié qu'il existait un monde avec d'autres couleurs que Blanc : neige ; gris : ciel, mines des gens, neige dégueulasse ; noir, asphalte.