dimanche 26 janvier 2014

Rencontre avec le Chef Bergé Kawa


Les aires coutumières ne sont accessibles aux visiteurs, qu'après avoir obtenu l'autorisation du chef. La grande case de Sarraméa, perchée en haut d'une vaste esplanade en herbe, bordée de pins colonnaires et de cocotiers, plus que centenaires, sur le bord de la route de Petit Couli est particulièrement majestueuse. Mais voilà le chef est introuvable. Je suis venu exprès, aussi c'est dépité que je m’apprête à reprendre la route. Alors que je quittais le petit Parking, un 4*4 s'arrête pour déposer un Grand homme chauve costaud, d'age mur. Je passe la marche arrière, reviens au parking, sort de mon véhicule et me fait immédiatement apostropher : « Vous cherchez quelque chose ? » ; ton bourru ! « Oui je cherche le Chef », C'est moi qu'est ce que vous lui voulez ? » Je m'approche lui serre la main, me présente, lui fait part de mon intérêt pour la culture Canaque et pour l'histoire de la Nouvelle Calédonie. Je raconte ma visite à l'exposition du musée du Quai Branly et mon souhait de partager son savoir sur le terrain. J'ai passé l'épreuve avec succès, le Chef m'écoute attentivement, m'informe qu'il est en mesure de m'exposer l'histoire de sa tribu et de m'expliquer le sens des différents éléments de l'aire coutumière et s'inqiète du temps que je pourrai lui consacrer car cela prendra au moins demi-heure... Bien sur, moi, j'ai tout mon temps, mais je ne voudrais pas abuser du sien et souhaite, bien sur, le dédommager. Ce que je lui propose lui convient tout à fait. Il me demande deux minutes, pour aller chercher des documents chez lui. Et c'est parti pour plus de deux heures et demi d'un exposé passionnant, documents à l'appui. J'ai sorti mon petit cahier et mon appareil photo, noté tout ce que j'ai pu et photographié tout ce que j'ai voulu. C'est ce récit que je reprends ici, tel qu'il  a été énoncé. Je n'ai fait aucun recoupement historique, ou de dates. Il se peut que parfois, j'ai mal noté ou omis de demander une précision ou même que certains points relèvent plus de la légende que de la vérité historique.

Avant de me présenter l'aire coutumière, le chef Bergé de la tribu Kawa a tenu à me présenter l'histoire des Kawas

Tournant le dos à la grande Case il me montre à l'ouest, la plaine côtière, me désigne un point ou se rencontrent deux montagnes et dit. « ma tribu vient de là bas, elle était installée à l'embranchement actuel des routes de Sarraméa et de Farino, on est en 1878, les autorités coloniales ont concédé les bonnes terres à des colons dont de nombreux bagnards du bagne de la Foa, ayant purgé leur peine. Les tribus ont été repoussées au pied de la chaîne, dans des terres pentues et moins fertiles.

L'été 1878 est particulièrement sec. Le Bétail des colons, s'échappe et vient, pour se nourrir , saccager les terres indigènes, détruisant les cultures vivrières.

Devant ce fléau, le chef Braïno, ( ce qui signifie qui a peur de la parole) grand père (je pense plutôt arrière grand père, mais le terme de grand père s'applique aussi pour des ascendants plus anciens, y compris pour les frères de cet ascendant). réunit tous les chefs de clans, Ils sont Treize, sur la photo, devant la grande case, représentant chacun environ trois cent personnes. Braïno est le quatorzième, au centre sur la photo, habillé à l'européenne avec un parapluie. Il parlait un peu le français.

Lors de ce Conseil, il est décidé que Braïno, irait à Focala rencontrer les autorités occupantes pour demander l'arrêt des concessions de terres et la maîtrise du bétail des colons par la pose de clôtures. Il se rendit au bagne ou se trouvait la garnison, y fut courtoisement reçu et obtint la garantie que sa requête avait été entendue et qu'une solution serait recherchée.

C'est avec ce message d'espoir qu'il revint auprès des chefs de clans, pour que ceux-ci transmettent une parole d'apaisement, de patience et d'espoir aux familles placées sous leur autorité.

Cependant au bout de quatre mois, rien n'avait changé, la famine gagnait du terrain dans les tribus. Une seconde visite aux autorités, fut tout aussi courtoise. Le message de patience fut renouvelé ; « tout ne peut pas se faire en un jour, les dispositions sont prises... soyez patients. »

La patience dura encore quatre mois, mais la famine s'aggravait et la colère montait. Ataî le frère de Braïno demanda à participer à la troisième entrevue. Le matin même il prépara deux petits sacs, l'un rempli de bonne terre, l'autre de cailloux. L'entretien fut moins courtois : « Si vous êtes pressés, construisez vous-même votre barrière ! » «  On construira notre barrière quand les ignames sortiront de terre et viendront manger votre bétail » leur fut-il répondu. Ataî vida son sac de bonne terre et dit, « voilà ce que vous nous avez pris » ; puis vida le sac de caillou et dit : « voilà ce que vous nous laissez. »

De retour dans la tribus Ataï dit « écoute mon frère pense aux femmes et aux enfants qui n'ont rien à manger. ». Il dit qu'il ne veut plus attendre et fait le tour des tribus pour chercher des partisans. Ces quelques hommes résolus, s'en prennent aux installations et au bétail des colons les plus proches de leurs terres.

C'est alors que commence l'escalade qui va aboutir au massacre de milliers de Canaques. Les autorités françaises traversent la chaîne et vont convaincre des chefs des tribus de l'est, qu'ils savent en rivalité ancestrale avec les tribus de l'ouest de combattre avec eux moyennant des fusils et une prime à la tête de Canaque, tué.

Le massacre des tribus commence alors, avec l'aide du grand chef Nandou et des tribus de l'est  qui passent la chaîne en direction de l'ouest,. Tous, femmes et enfants compris sont exterminés ;

Cette période durera trois ans et va voir disparaître une grande partie de la population autochtone.

Sur une ligne de crête au sud de la Foa, se déroulera la bataille finale. Ataï tuera dans une embuscade le Colonel commandant les troupes françaises et fut par la suite encerclé et tué.

Les prisonniers Canaques furent envoyés au bagne, à l'île des pins, aux îles Belep (extrème nord de la Calédonie, à l'ïle Torres ou aux Gambiers (Tahiti)

Ataï deviendra le symbole de la résistance Canaque . Sa tête finira au musée de l'homme ou elle se trouve encore, malgré les demandes réitérées des autorités coutumières de la faire rapatrier afin de donner à Ataî des fun sur sa terre natale. Voir la photo de la réponse de mars 2013 faite au nom du Président de la république, François Hollande, à Bergé Kawa qui sollicite cette restitution. Encore une réponse d'attente...

Bergé est donc le descendant d'ancêtres illustres. Son père lui même à combattu auprès des troupes françaises pendant la seconde guerre mondiale. Il faisait partie de la division blindée de Lybie. Il pénétra à Tripoli avec les troupes Françaises. Il est le seul Canaque a porter le titre prestigieux de Compagnon de la Libération.

Bergé, lui même, à participé au début des année 1980, à l’élaboration du cadastre des tribus Kanaks, pour la région de la Foa,, dans le cadre de la politique initiée par François Mitterand de restitution des terres indigènes. Ce travail, voir photo a été reconnu par les autorités françaises , en particulier par le ministre Louis Le Pensec qui l'a pris comme modèle. Aujourd'hui il reste sept tribus sur les quelques trois cent du siècle dernier.

Au titre du sénat coutumier, Bergé a participé à Genève en 2006, à l'élaboration du projet de charte des Nations Unies sur le Droit des Peuples Autochtones.

La zone coutumière, telle qu'on la voie aujourd'hui, date de 1881. Le site en a été choisi par le grand père Braïno, pour sa ressemblance avec le site initial. Les pins colonnaires et les cocotiers ont donc plus de 130 ans.

Les pins symbolisent les hommes et les cocotiers les femmes. Il alternent le long de l'allée centrale, par contre le cercle autour de la case, n'est composé que de pins. L'un d'entre eux a été planté en l'honneur de Pierre Joxe.

Le poteau de Bambou, avec le drapeau Kanak et le Poteau incliné vers la case, (Symbole d'humilité) sépare la zone des chefs de famille de celle du tout venant, des femmes et des enfants. La porte de la case, elle même est basse et exige de s'incliner pour y pénétrer.

Lorsqu'un litige survient dans la communauté (foncier ou autre) le Chef convoque l'ensemble de la population. Chacun arrive avec des dons en nourriture qui servent à la préparation, par une famille, dont c'est la mission traditionnelle, d'un repas commun.

Les chefs de famille prennent place au delà du poteau, le Chef les invite, ainsi que les plaignants à entrer dans la case. Le personnage sculpté à l'air inquiet à droite de la porte de la case symbolise les craintes du plaignant à son entrée dans la case, le personnage joyeux à gauche le représente sortant soulagé après le procès. Le personnage noir central avec la langue rouge représente la parole.

Le Jugement est rendu publiquement par le chef au niveau du poteau incliné. Chaque partie est amenée à accepter la décision, s'engage à faire la paix avec l'autre. Un échange de monnaies Canaques scelle le jugement. Le repas pris en commun symbolise la paix sociale retrouvée.

Concernant la case, on remarque a mi-toiture, deux fourches et deux bâtons, disposés en croix, qui sortent du Chaume. En fait ils sont tous les quatre reliés au poteau central et symbolisent la réconciliation. (fourche : deux branches qui se rejoignent), la réconciliation a lieu à l'intérieur. L'extérieur n'est pas propice à la Réconciliation.

Le poteau central représente le chef, les branches qui tiennent le toiture et convergent vers le haut, les différentes tribus, elles sont reliée entre elles par une liane végétale embobinée qui représente leur cohésion. Le tissage de palmes à l’intérieur de la toiture représente l'élément féminin (femme, mère)

Dans chaque grande case il y a un foyer. Le feu est allumé lorsque les chefs de famille délibèrent.

La flèche faîtière est également Chargée de symboles. Sept conques représentent les sept tribus. Il n'en reste que cinq, les tempêtes en ont emporté deux. Le demi cercle blanc, avec deux pointe tournées vers le ciel représentent l'aigle, et signifie « la coutume règne dans les airs », le losange rouge au milieu, une pirogue. Il représente les tribus du littoral, celles dont l'élément est la mer. Le demi cercle blanc avec les pointes tournées vers le bas signifie l'ancrage à la terre. «  La coutume règne sur la terre »

La toiture de la grande case est usée, voilà trente et un ans qu'elle n'a pas été renouvelée. Normalement elle est changée tous les vingt cinq ans et demande dix jours de travail à dix hommes. Mais voilà les jeunes aujourd'hui demandent combien ils seront payés, et Bergé est bien impuissant devant le problème de la nécessaire rénovation de sa chefferie.

Après un premier contact assez froid avec le chef, mais c'est un jeu pour tester son interlocuteur, cette après- midi a été riche d'enseignements et d'échanges. Je ne croyais pas entrer aussi directement au cœur de l'histoire Calédonienne et retrouver le mythiques Ataî, sur ses terres et dans sa famille. Tout se fini par une photo chaleureuse devant la case. Le grand chef remercie Dieu pour cette rencontre. Je suis toujours surpris de voir à quel point la religion est importante pour de nombreux autochtones.

S'il y a une leçon à tirer, c'est celle de l'importance de la parole. La parole pour négocier et apaiser, la parole plutôt que la violence. Les Canaques ont, et ont toujours eu, le sens du dialogue et de la négociation. Bien sur on ne le leur a jamais reconnu, le colon convoitait la terre et la richesse et il n'y a que la force pour spolier un peuple.

Nota : Le terme Kanak a été adopté dans le cadre de accords de Nouméa, il est donc issu de l'histoire récente, c'est pourquoi, je lui préfère souvent le terme Canaque, sans lui donner la moindre connotation négative.





1 commentaire:

  1. Il a l'air charismatique cet homme là... Tellement charismatique que j'en ai eu des frissons à la huitième photo... Brrrr.
    Sinon c'est chouette, j'avais oublié qu'il existait un monde avec d'autres couleurs que Blanc : neige ; gris : ciel, mines des gens, neige dégueulasse ; noir, asphalte.

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