lundi 20 janvier 2014

Dans les yeux de Cassy



La note« Une journée avec Cassy » a été écrite sur le vif. Il s'agissait,à travers un témoignage factuel de faire comprendre le poids des contraintes liées aux soins quotidiens que nécessite un enfant handicapé, mais aussi que, malgré tout, c'est l'amour qui prend le dessus.

Pourquoi tant d'amour alors que les gratifications paraissent si minces ? C'est ce point, qu'avec un peu plus de vécu et après de longs dialogues avec les parents, je voudrais approfondir. J'ai trop rapidement ramené au seul sourire le vecteur du dialogue. Je suis convaincu maintenant que la compréhension par l'enfant de ce qu'on lui demande mais aussi de ce qui est prononcé, sans que l'on s'adresse directement à elle, va bien au delà de ce que à priori on pourrait penser. En retour, l'enfant aussi exprime son bien être, son mal être, mais aussi son affection, sa tristesse, le désespoir de son impuissance, la colère et même de l'ironie et de l'humour.

Je m'aventure sur un terrain difficile, parce qu'il faut abandonner toutes références et toutes certitudes. Même les règles de la communication non verbale classique, n'ont plus court. Une chose est certaine, en tout cas, c'est que entre l'enfant, ses parents, son frère et certains des proches qui la côtoient fréquemment, se développe un langage intuitif, passant pour ce qui concerne Cassy essentiellement par les yeux et pour son entourage par les mots, bien sur, mais aussi par des gestes, des attitudes ou des signes.

Cassy aura cinq ans dans quelques jours, voilà une évidence qui m'avait pourtant échappée, tant elle est menue et que son absence de langage et de locomotion nous amènent à la considérer et à la traiter comme un bébé. C'est son père qui nous a rappelé cette réalité pour nous engager, lorsque l'on parle devant elle, à ne pas ignorer sa présence et éviter des sujets qui pourraient la blesser. Il s'agit là d'une marque de respect. En fait, on ignore tout de ce que Cassy, entend, comprend, perçoit de son état et de son avenir. Dans le doute, il est effectivement sage de s'abstenir de parler de Cassy devant Cassy.

Une telle précaution, paraît d'autant plus légitime que, par ailleurs, de nombreux niveaux de reconnaissance et de compréhension paraissent incontestables.

On ne peut absolument pas douter qu'elle reconnaît ses jouets, des lieux et des situations familiers. Elle a des jouets ou des musiques qui la calment immédiatement quand elle est agitée. Sa souris doudou a un effet magique. Elle adore regarder des dessins animés, mais «Dora » la met dans un état d'extase et d'attention véritable.

Elle reconnaît ses proches. C'est évident pour ce qui concerne son père, sa mère son frère et son assistantes de vie, qu'elle côtoie journellement ou presque. Quand elle les voie, ses manifestations de joie, ses rires, son bonheur sont évidents. Aucun doute n'est permis. Je pense qu'elle reconnaît également les proches, qui s'occupent d'elle et qu'elle voit moins fréquemment. Mais a t-elle une véritable mémoire ? Sans en être certain je le crois fortement.

A mon arrivée en Nouvelle Calédonie mi-décembre, alors que je ne l'avais pas vue depuis juin, j'ai perçu dans son attitude et son regard des signes de plaisir et de reconnaissance. Je l'ai exprimé, ne sachant pas si mon désir d'être reconnu, ne m'a pas fait trouver dans son regard plus qu'il ne disait en réalité. Pour ses parents il ne fait aucun doute qu'elle m'a reconnu. Ce matin même elle a accueilli avec joie la kinésithérapeute qui la fait travailler en piscine et qu'elle n'avait aperçue qu'une fois depuis six mois.

Un environnement familier, calme et aimant, est donc un facteur d'apaisement. Cassy ne manifeste pas pour autant de mécontentement ou de stress particulier dans des situations nouvelles. Elle change volontiers de mains et supporte plutôt bien les voyages en voiture ou en avion.

Elle manifeste, par de petits pleurs d'alerte, son impatience quand elle veut changer de position ou de situation. Raz le bol du lit, de la chaise haute ou vite j'ai faim !

Il n'y a que le mal être ou la douleur physique qui la font véritablement pleurer. Malheureusement elle est comme toutes les filles Rett, sensible aux problèmes gastriques ou respiratoires. C'est surtout dans la maladie et la souffrance que Cassy montre vraiment du désarroi.

On parle beaucoup à Cassy, aussi il est certain qu'elle comprend de nombreux mots et répond donc à des sollicitations. Je ne suis pas assez familier avec elle pour en faire l'inventaire. Ce dont je suis certain c'est qu'elle comprend et réagit à son nom et obtempère à « lève la tête », « ouvre la bouche », « fait un bisou » Une foule de mots ne sont pas des injonctions, mais entrent certainement dans sa sphère de compréhension . « on va manger », « il faut dormir »« c'est bien », « bravo », « tu as tout fini », « tu es belle » et tous les mots tendres qui accompagnent son quotidien.

Selon moi sa compréhension va bien au delà des mots liés aux gestes quotidiens. Un mode de compréhension d'elle même et de son handicap, dont les contours nous sont inaccessibles existe sans doute, dont il faut tenir compte. Le principe de précaution ne s'appliquerait-il pas dans cette situation ?

Cassy j'en suis certain a conscience de son handicap et en souffre. Sa mère m'a montré ses efforts pour utiliser une de ses mains, l'autre étant retenue, car elle ne peut pas se concentrer sur les deux à la fois qui s’agitent fébrilement. Elle la lance pour attraper un jouet, mais le heurte seulement . Elle voudrait le saisir, recommence, mais n'y parvient pas et en souffre. Cette souffrance, ses parents en sont convaincus, peut aller jusqu'à une tristesse telle qu'elle confine parfois à la dépression.

Pour s'exprimer enfin, Cassy dispose d'un atout irremplaçable, ses yeux et avec ses yeux son sourire et son rire.

Cassy a de beaux yeux ou se rencontrent le vert, le noisette et le jaune, en association et en intensité variables selon la lumière et l'humeur. Le regard de Cassy, son père a mille fois raison, n'est plus un regard de bébé, c'est un regard de petite fille, riche d'une incroyables palettes d'expressions, qu'il nous appartient de lire.

Bien sur il est des moments trop fréquents ou Cassy se réfugie dans son monde d'autiste, un territoire effrayant, lointain et inaccessible. Dans ces moments ses yeux sont mornes et vides, rien n'a de valeur, ni rires, ni mimiques. Le temps est aboli. Cassy n'est pas Cassy.

Cassy est quand même, le plus souvent présente, elle regarde autour d'elle, suit les mouvements, interpelle, elle répond aux sollicitations, en quelque sorte, elle participe.

La palette des regards et des expressions, va de la colère à la franche joie en passant par le reproche, la lassitude, l'inquiétude, l'appel au secour, l'ennui, la résignation, l'indifférence, le sommeil, l'ironie, la condescendance, l'approbation, la confiance, l'amusement, l'interpellation, le plaisir, l'affection, la tendresse.

Il n'y a pas un seul sourire, mais des dizaines de regards qui constituent un véritable langage. Les yeux sont le reflet de l'âme dit-on, en ce sens Cassy ne fait ni plus ni moins que les autres enfants. Oui, mais Cassy ne s'exprime que par son visage et la maladie et les tics rendent leur lecture moins évidente. Il faut beaucoup de proximité et d'intimité pour bien lire dans ses yeux.


Sur ce point ma note précédente était trop lapidaire. Je parlais du sourire comme s'il n'y en avait qu'un seul. En fait le puissant lien qui unit les filles Rett et leurs proches est renforcé par une communication riche et variée, certes non conventionnelle, mais riche de mots, de gestes mais surtout de regards. De cette communication et de la capacité de compréhension des enfants, on ne sait rien. Il parait donc prudent de les protéger d'une compassion trop marquée ou de discours trop pessimistes ou alarmistes les concernant. Le mieux semble donc être de les entourer de mots gentils et encourageants et de joie de vivre.

















1 commentaire:

  1. Merci Jean-Claude pour ces partages....on comprend mieux ce que vit Cassy et sa petite famille au quotidien!!! Bisous à tous
    Isa

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