La note« Une
journée avec Cassy » a été écrite sur le vif. Il
s'agissait,à travers un témoignage factuel de faire comprendre le
poids des contraintes liées aux soins quotidiens que nécessite un
enfant handicapé, mais aussi que, malgré tout, c'est l'amour qui
prend le dessus.
Pourquoi tant d'amour
alors que les gratifications paraissent si minces ? C'est ce
point, qu'avec un peu plus de vécu et après de longs dialogues avec
les parents, je voudrais approfondir. J'ai trop rapidement ramené au
seul sourire le vecteur du dialogue. Je suis convaincu maintenant que
la compréhension par l'enfant de ce qu'on lui demande mais aussi de
ce qui est prononcé, sans que l'on s'adresse directement à elle, va
bien au delà de ce que à priori on pourrait penser. En retour,
l'enfant aussi exprime son bien être, son mal être, mais aussi son
affection, sa tristesse, le désespoir de son impuissance, la colère
et même de l'ironie et de l'humour.
Je m'aventure sur un
terrain difficile, parce qu'il faut abandonner toutes références et
toutes certitudes. Même les règles de la communication non verbale
classique, n'ont plus court. Une chose est certaine, en tout cas,
c'est que entre l'enfant, ses parents, son frère et certains des
proches qui la côtoient fréquemment, se développe un langage
intuitif, passant pour ce qui concerne Cassy essentiellement par les
yeux et pour son entourage par les mots, bien sur, mais aussi par des
gestes, des attitudes ou des signes.
Cassy aura cinq ans dans
quelques jours, voilà une évidence qui m'avait pourtant échappée,
tant elle est menue et que son absence de langage et de locomotion
nous amènent à la considérer et à la traiter comme un bébé.
C'est son père qui nous a rappelé cette réalité pour nous
engager, lorsque l'on parle devant elle, à ne pas ignorer sa
présence et éviter des sujets qui pourraient la blesser. Il s'agit
là d'une marque de respect. En fait, on ignore tout de ce que Cassy,
entend, comprend, perçoit de son état et de son avenir. Dans le
doute, il est effectivement sage de s'abstenir de parler de Cassy
devant Cassy.
Une telle précaution,
paraît d'autant plus légitime que, par ailleurs, de nombreux
niveaux de reconnaissance et de compréhension paraissent
incontestables.
On ne peut absolument pas
douter qu'elle reconnaît ses jouets, des lieux et des situations
familiers. Elle a des jouets ou des musiques qui la calment
immédiatement quand elle est agitée. Sa souris doudou a un effet
magique. Elle adore regarder des dessins animés, mais «Dora »
la met dans un état d'extase et d'attention véritable.
Elle reconnaît ses
proches. C'est évident pour ce qui concerne son père, sa mère son
frère et son assistantes de vie, qu'elle côtoie journellement ou
presque. Quand elle les voie, ses manifestations de joie, ses rires,
son bonheur sont évidents. Aucun doute n'est permis. Je pense
qu'elle reconnaît également les proches, qui s'occupent d'elle et
qu'elle voit moins fréquemment. Mais a t-elle une véritable
mémoire ? Sans en être certain je le crois fortement.
A mon arrivée en
Nouvelle Calédonie mi-décembre, alors que je ne l'avais pas vue
depuis juin, j'ai perçu dans son attitude et son regard des signes
de plaisir et de reconnaissance. Je l'ai exprimé, ne sachant pas si
mon désir d'être reconnu, ne m'a pas fait trouver dans son regard
plus qu'il ne disait en réalité. Pour ses parents il ne fait aucun
doute qu'elle m'a reconnu. Ce matin même elle a accueilli avec joie
la kinésithérapeute qui la fait travailler en piscine et qu'elle
n'avait aperçue qu'une fois depuis six mois.
Un environnement
familier, calme et aimant, est donc un facteur d'apaisement. Cassy ne
manifeste pas pour autant de mécontentement ou de stress particulier
dans des situations nouvelles. Elle change volontiers de mains et
supporte plutôt bien les voyages en voiture ou en avion.
Elle manifeste, par de
petits pleurs d'alerte, son impatience quand elle veut changer de
position ou de situation. Raz le bol du lit, de la chaise haute ou
vite j'ai faim !
Il n'y a que le mal être
ou la douleur physique qui la font véritablement pleurer.
Malheureusement elle est comme toutes les filles Rett, sensible aux
problèmes gastriques ou respiratoires. C'est surtout dans la maladie
et la souffrance que Cassy montre vraiment du désarroi.
On parle beaucoup à
Cassy, aussi il est certain qu'elle comprend de nombreux mots et
répond donc à des sollicitations. Je ne suis pas assez familier
avec elle pour en faire l'inventaire. Ce dont je suis certain c'est
qu'elle comprend et réagit à son nom et obtempère à « lève
la tête », « ouvre la bouche », « fait un
bisou » Une foule de mots ne sont pas des injonctions, mais
entrent certainement dans sa sphère de compréhension . « on
va manger », « il faut dormir »« c'est
bien », « bravo », « tu as tout fini »,
« tu es belle » et tous les mots tendres qui accompagnent
son quotidien.
Selon moi sa
compréhension va bien au delà des mots liés aux gestes quotidiens.
Un mode de compréhension d'elle même et de son handicap, dont les
contours nous sont inaccessibles existe sans doute, dont il faut
tenir compte. Le principe de précaution ne s'appliquerait-il pas
dans cette situation ?
Cassy j'en suis certain a
conscience de son handicap et en souffre. Sa mère m'a montré ses
efforts pour utiliser une de ses mains, l'autre étant retenue, car
elle ne peut pas se concentrer sur les deux à la fois qui s’agitent
fébrilement. Elle la lance pour attraper un jouet, mais le heurte
seulement . Elle voudrait le saisir, recommence, mais n'y
parvient pas et en souffre. Cette souffrance, ses parents en sont
convaincus, peut aller jusqu'à une tristesse telle qu'elle confine
parfois à la dépression.
Pour s'exprimer enfin,
Cassy dispose d'un atout irremplaçable, ses yeux et avec ses yeux
son sourire et son rire.
Cassy a de beaux yeux ou
se rencontrent le vert, le noisette et le jaune, en association et en
intensité variables selon la lumière et l'humeur. Le regard de
Cassy, son père a mille fois raison, n'est plus un regard de bébé,
c'est un regard de petite fille, riche d'une incroyables palettes
d'expressions, qu'il nous appartient de lire.
Bien sur il est des
moments trop fréquents ou Cassy se réfugie dans son monde
d'autiste, un territoire effrayant, lointain et inaccessible. Dans
ces moments ses yeux sont mornes et vides, rien n'a de valeur, ni
rires, ni mimiques. Le temps est aboli. Cassy n'est pas Cassy.
Cassy est quand même, le
plus souvent présente, elle regarde autour d'elle, suit les
mouvements, interpelle, elle répond aux sollicitations, en quelque
sorte, elle participe.
La palette des regards et
des expressions, va de la colère à la franche joie en passant par
le reproche, la lassitude, l'inquiétude, l'appel au secour, l'ennui,
la résignation, l'indifférence, le sommeil, l'ironie, la
condescendance, l'approbation, la confiance, l'amusement,
l'interpellation, le plaisir, l'affection, la tendresse.
Il n'y a pas un seul
sourire, mais des dizaines de regards qui constituent un véritable
langage. Les yeux sont le reflet de l'âme dit-on, en ce sens Cassy
ne fait ni plus ni moins que les autres enfants. Oui, mais Cassy ne
s'exprime que par son visage et la maladie et les tics rendent leur
lecture moins évidente. Il faut beaucoup de proximité et d'intimité
pour bien lire dans ses yeux.
Sur ce point ma note
précédente était trop lapidaire. Je parlais du sourire comme s'il
n'y en avait qu'un seul. En fait le puissant lien qui unit les filles
Rett et leurs proches est renforcé par une communication riche et
variée, certes non conventionnelle, mais riche de mots, de gestes
mais surtout de regards. De cette communication et de la capacité de
compréhension des enfants, on ne sait rien. Il parait donc prudent
de les protéger d'une compassion trop marquée ou de discours trop
pessimistes ou alarmistes les concernant. Le mieux semble donc être
de les entourer de mots gentils et encourageants et de joie de vivre.
Merci Jean-Claude pour ces partages....on comprend mieux ce que vit Cassy et sa petite famille au quotidien!!! Bisous à tous
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