Identité, quelle idée ?
Imaginez un îlot, enfin un atoll de 132 km2 au large de la grande terre calédonienne en forme de croissant de lune, parce que pour partie immergé. Ouvéa est la plus septentrionales des trois îles loyauté. Les 97% de population Kanak identifiés par le dernier recensement de la population recouvrent la coexistence de deux populations d’origines différentes, les mélanésiens qui descendent des premiers peuplements et et les polynésiens arrivés plus tard, sans doute après le XVI siécle et de deux religions, des catholiques et des protestants.
Des lignes de partage sont bien présentes encore aujourd’hui entre mélanésiens et polynésiens et catholiques et protestants. Ouvéa est la seule île loyauté ou une langue polynésienne est encore parlée.
1-Peuplement
Quelques références historiques paraissent utiles à la compréhension.
Jean Guiart de l’office de la recherche scientifique outre mer fait état dans son étude «Les origines de la population d’Ouvéa (Loyalty) et la place des migrations en cause sur le plan général calédonien» de l’arrivée au XVIII ème siècle dans le nord et dans le sud de lîle d’habitants de Wallis et plus tard dans le centre d’habitants des Tonga. Ouvéa est un nom d’origine polynésienne Iaii, Une famille porte aujourd’hui le nom de Tonga.
« Les îles Loyautés ont été le lieu d’abordage pour d’innombrables Polynésiens, poussés vers l’Ouest, loin de leurs îles par les vents dominants. Maré, Lifou et Ouvéa s’étendent au large des côtes de la Nouvelle Calédonie. Elles reçurent plus d’étrangers que la Grande Terre. Les polynésiens furent en général pacifiquement intégrés dans les communautés et furent habituellement dotés de statuts spéciaux par les chefs locaux, qui les considèrent comme des "enhému" c’est-à-dire "favoris" en raison des aptitudes intellectuelles ou technologiques que les immigrés possédaient. Les Tongans par exemple étaient renommés comme constructeurs de pirogues.»
«Tout particulièrement les régions nord et sud d’Ouvéa furent peuplées par des descendants des insulaires de l’île Wallis qui étaient venus s’établir là dans la deuxième partie du XVIIIème siècle. Les premiers Européens ...rencontrèrent des groupes arrivés récemment de Tonga et de Samoa.»
L’arrivée dans leurs pirogues d’habitants d’îles lointaines, même à l’échelle du pacifique, correspond bien à des migrations. Il semble que ces migrations soient pour une part culturelles pour une part forcées par le manque de ressources dans les territoires d’origine. Tomasi Tauto’u dans son mémoire de master (Université de Nouvelle Calédonie) «Enracinement, polynésiens d’hier et d’aujourd’hui, cas des Walisiens dans l’archipel de Nouvelle Calédonie ; Histoire, mythe et migration» cite Joël Bonnemaison sur le concept d’enracinement:
«la société océanienne fonde son identité sur un paradoxe apparent entre l’attachement à un lieu d’origine sacré, et le besoin de voyage et de migration. Tavaka est une tradition qui traduit le besoin de migrer puis de « s’enraciner » à un lieu d’encrage.»
«L’arrivée des mélanésiens et leur intégration n’est que le début d’autres brassages: On notera aussi de nombreux exemples de migrations locales entre les îles loyautés, la Nouvelle Calédonie et l’Ile des Pins. Les ouvéens et les Lifou envoyaient des petits bijoux de coquillages, aussi bien que des filles de chef, au nord et au centre de la côte est de la Grande Terre car les femmes des Iles Loyautés, particulièrement les ouvéennes de descendance polynésienne, étaient prisées au dessus de toutes par les chefs néo calédoniens. En échange les néo calédoniens exportaient des pierres et des grosses billes de bois, car les îles loyautés, quoique largement boisées manquaient des arbres susceptibles de permettre la construction des pirogues doubles utilisées pour les voyages inter îles»
-Relations avec Lifou (autre île loyauté au sud d’Ouvéa) «Les relations entre Lifou et Ouvéa furent constantes, sous diverses formes, pacifiques si l,on remonte dans le temps, elles semblent plus particulièrement nombreuses et guerrières par la suite.»
-Relations avec la Grande Terre « sur la côte est de la Grande Terre...on trouve une même tradition de départs vers Ouvéa. Il existe jusqu’à aujourd’hui et celà depuis six générations un courant d’échange de femmes entre le bord de mer et le nord d’Ouvéa.»
«Tout se passe comme si la deuxième moitié du dix huitième siècle et le début du dix neuvième constituaient une période de relations intenses entre Calédonie, Loyalty et Polynésie occidentale.»
Ajoutons l’arrivée des premiers Européens dans ces parages au XVII ème siècle; Flibustiers, baleiniers, commerçant à la recherche de bois de santal, scientifiques, qui ont donné lieu, outre à un choc économique, à quelques métissages. On m’a rapporté qu’une mélanésienne aux yeux bleu attribuait cette particularité à un grand père baleinier.
2-Missions
L’identité se forge dans le temps à travers migrations et échanges matrimoniaux entre groupes, mais aussi à travers les croyances. En matière de religion, d’évangélisation ou de christianisation, Ouvéa est un sacré bel exemple. Missionnaires catholiques et protestants arrivent simultanément et s’installent les un dans le nord les autres dans le sud. Je cite Céline Borello dans son mémoire « La christianisation : source de conflit ou de pacification? Protestants et catholiques à Ouvéa dans le second XIXe siècle.»
«Le développement du christianisme utilisa, à Ouvéa comme ailleurs les structures de pouvoir existantes:
l'île divisée en deux chefferies principales fut partagée entre deux confessions, catholique au Nord, protestante au Sud.
Au milieu de 1856, à Fayaoué, deux teachers arrivèrent donc. La venue des catholiques fut pratiquement simultanée puisque le père Bernard et un Wallisien, Siriano Lave, débarquèrent le 13 avril 1857 et s'empressèrent de rencontrer Bazit qui ne leur accorda audience et protection qu'après hésitation et résistance
Les Maristes s’installèrent alors à Saint-Joseph. Les divisions politiques avaient sans nul doute facilité l'adoption de la religion «rivale» du côté de Bazit : puisque son concurrent avait accueilli les protestants, il pouvait avoir un avantage à recevoir les catholiques. Le 15 août 1858, les premiers baptêmes du père Bernard furent célébrés dans le Nord de l'île alors que le Sud restait acquis aux teachers maréens et polynésiens.
Le problème religieux, parfois houleux en Océanie, semble aggravé par un problème de rivalité nationale entre Anglais et Français. Et cela prend un relief particulier pour l’île d’Ouvéa qui a connu une christianisation tardive, au moment où les rapports franco-anglais étaient tendus. ....Dans les Loyauté, il y a pratiquement simultanéité entre christianisation et colonisation ce qui tend à accroître les antagonismes.
Pour les Européens, la rivalité, en cette décennie de 1850-60, n'est pas seulement le fait des missionnaires catholiques ou protestants, elle est aussi celle des Français et des Anglais, qui, suivant une tradition ancienne ont, de plus, choisi chacun une Église différente : la France est la « fille aînée de l'Église» alors que l'Angleterre est la terre des missions protestantes.
C'est ainsi qu'il faut lire le passage du père Bernard alors qu'il explique les difficultés rencontrées pour aller dans le Sud de l'île, en septembre 1856:«Les protestants de Lifou [venus aider les Ouvéens convertis au protestantisme}, voyant que nous nous établissions dans le Nord, s'empressèrent de gagner la tribu du Sud, de vomir toute espèce de mensonges et contre la religion et contre les Français, et d'envoyer leurs catéchistes dans tous les villages de cette tribu pour nous fermer le passage.»
Pour les Ouvéens, où deux chefs rivaux de longue date coexistent, cette opposition trouva un terreau particulièrement favorable à ce qui doit être considéré comme un croisement des rivalités confessionnelle et nationale propice à la réactivation des violences traditionnelles.
Réels conflits religieux ou instrumentalisation confessionnelle ?
Si l'on suit les sources relatant les conflits des années 1860, l'impression d'une «guerre de religion» domine. Les querelles se trouvèrent, en effet, réactivées car l'évangélisation était fondée à Ouvéa,comme partout, sur une stratégie politique. On se trouve donc à un croisement très complexe dont l'intersection se situe dans la chefferie, avec pour principal acteur, le grand chef.
Les régions de Mouli et de Lekin, au sud, étaient également gagnées par le catholicisme. Mais le Mariste n'est pas pour autant au bout de ses peines puisque l'arrivée du premier pasteur de la LMS, Samuel Ella, raviva l'ardeur protestante :
...Évoquer une guerre entre « catholiques » et « protestants» reviendrait à considérer ces premiers convertis au christianisme comme les bras Armés d'une religion que l'on sait par ailleurs encore très malmenée par les résurgences constantes à un paganisme ancestral
...c'est moins la religion que les questions de chefferies et de territoires qui les divisent.» Comment considérer qu'au début des années 1860, quelques années seulement après l'installation des missionnaires, chacune des deux chefferies se bat désormais pour la foi chrétienne ? Il paraît plus raisonnable de postuler à une instrumentalisation de la religion chrétienne, catholique comme protestante, dans un processus ancien de rivalité clanique.
... Sans doute ici l'explication réside-t-elle dans la nouvelle visibilité des chefferies qui s'exprime dans l'appartenance à telle ou telle Église. Cela paraît particulièrement vrai pour les chefs «subalternes» car l'identité religieuse était alors le moyen d'accéder à plus de pouvoir de telle sorte que «la division des îles en régions d'influence catholique ou protestante, ne correspondit pas forcément aux limites des chefferies hostiles.»,
Je me suis permis de reprendre des extraits de ce passionnant récit pour rendre sa complexité à la construction des identités religieuses dans cette île. Construction qui recouvre pour parti les identités ethniques. Les chefferies autochtones ont instrumentalisé les rivalités entre Français et Anglais, catholique et protestants pour réactiver de vieilles querelles claniques et tenter d'asseoir leur pouvoir.
Tout ça pour dire que même avec seulement 8000 habitants, l’identité, si on peut se réclamer d’elle, relève d’une sacré synthèse. Entre Mélanésiens catholiques et mélanésiens protestants, plynésiens catholiques et protestants, clans du sud de l'île et clans du nord et aujourd'hui loyalistes et indépendentistes, il existe une telle combinatoire d'identités, toutes sources de multiples accrimonies entre voisins. Au bout du compte c’est tellement compliqué, que à part se réclamer d'une identités de synthèse est la seule solution pour maintenir la cohésion sociale.
Fier d'être autochtone, ouvéen, insulaire, celà suffit à donner une image unie. Le marché du jeudi des îles à Nouméa renvoie bien aux visiteurs cette image joyeuse d'une identité insulaire
L'identité que ce soit à ouvéa ou ailleurs est le résultat de tant de brassages, de migrations volontaires ou forcées, bien acceptées ou violentes, de croyances et d'organisation politique fluctuantes que la revendication d'identités étriquées ne peut-être le fait que d'individus obtus, timorés effrayés par la différence de l'autre. L'identité n'est tolérable que si elle est joyeuse, tolérante et ouverte.
Fucking méditation numéro 2 :fuck repli identitaire, richesse de l'autre, bienveillance, fraternité
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