mardi 23 août 2016

Ouvéa fucking méditation numéro 3- La violence inutile



La violence inutile

Ouvéa à été en 1988 le cadre d’évènements dramatiques qui au prix de 24 morts dont 19 kanaks ont marqué un tournant décisif dans l’histoire de la Nouvelle Calédonie. On a du mal à imaginer en voyant la minuscule gendarmerie de Fayaoué et les quelques maisonnettes d’habitation qui l’entoure, en parcourant les 35 km de l’unique route sur une terre parfois si étroite que la mer est visible des deux côtés, que cette île minuscule peuplée de gens si gentil ait pu faire l’objet d’un tel déferlement de violence. J’en ai fait le récit dans un précédent post auquel je vous renvoie

http://etaujourdhuialors.blogspot.com/2014/02/ouvea-dernieres-violences.html


Aujourd’hui encore les faits ne sont pas complètements établis. Le film de Mathieu Kassovitz «l’ordre et la morale» n’a pas clos le débat sur la nécessité de l’emploi de la force, alors que la reddition des preneurs d’otage semblait acquise par le capitaine Legorjus.

Entre les fantasmes repris par le discours politique et la réalité de l’attaque, les conditions de la mort des trois gendarmes à Fayaoué le 22 avril ne sont pas totalement éclaircies. De même que celle de la mort de 12 des 19 assaillants tués après l'assaut de la grotte de Gossanah.

1 -Le contexte de la montée de la colère des populations autochtones

La seconde guerre mondiale et la présence américaine en Nouvelle Calédonie, avec le passage de plusieurs millions de GI, puis le retour des bataillons kanaks avec les espoirs d’émancipation qui l’accompagnent, feront rentrer la Nouvelle Calédonie dans une ère Nouvelle. Les années 80 seront marquées par un malaise grandissant des populations mélanésiennes. L’organisation d’un référendum le 13 novembre 1987, boycotté par les Kanaks est une victoire des loyalistes mais un fiasco, dont les anti-indépendantiste n'ont pas toujours conscience.

Le sentiment d’exclusion et de frustration se traduit par une montée de la colère et une radicalisation du FNLKS qui commence à envisager l’organisation d’actions spectaculaires propres à attirer l’attention des pouvoirs publics à la veille des élections présidentielles françaises. C’est dans ce contexte qu’est fomentée par le FLNKS l’attaque de la gendarmerie de Fayaoué à Ouvéa, l’une des îles loyauté. D'autres projet d'attaques dans d'autres îles loyauté ont avorté, seul celle d'Ouvéa s'est réalisée.

2- L'affabulation  comme arme idéologique pour légitimer la violence d’Etat

Jacques Chirac utilisera dans ses déclarations publiques toute sorte de rumeurs et une vision fantasmée des preneurs d’otages présentés comme des sauvages sanguinaires, violeurs, drogués et à la solde de Khadaffi.

«Les gendarmes de Fayaoué ont été tués devant leurs femmes et leurs enfants.» «Les épouses ont été violées sous les yeux de leurs hommes...» alors que la vérité est que aucun enfant ne se trouvait dans les locaux de la gendarmerie lors de l'attaque. Aucune femme n'a été violée. Et les maisons des gendarmes n'ont pas été «pillées et saccagées». Il y a aussi l'insinuation selon laquelle les assaillants étaient «sans doute sous l'emprise de la drogue et de l'alcool». et une théorie du complot terroriste laissant croire que les preneurs d'otages avaient tous en poche le petit Livre vert de Khadafi appelant au soulèvement des peuples opprimés

Jacques Chirac et Bernard Pons utiliseront largement et sciemment ces sornettes pour noircir le tableau et préparer l’opinion publique à réprimer cette bande de sauvages sanguinaires. Lors de son face-à-face télévisé avec François Mitterrand, Jacques Chirac a ainsi évoqué les morts, les maisons incendiées et les femmes violées par dizaines.» On sait que des images d'antrophagie imaginées de toute pièce par des dessinateurs, inspirés par leur seule imagination, ont servi la cause coloniale.

Pour ce qui concerne le comportement des assaillants et leur armement pendant l’assaut les dépositions des épouses donnent des informations précieuses. Je vous donne à lire quelques extraits des dépositions recueillies le jour même ou le lendemain des faits, retranscrites par J G Gourson dans son blog :

«A aucun moment nous n'avons été menacées ou frappées par les Mélanésiens.»

Josie Lacroix, 35 ans, l'épouse du chef de poste de Fayaoué, A 7h 15 j'ai conduit conduit mon fils Fabien (6 ans) à l'école primaire située en face de la brigade. A mon retour à la maison, quelques minutes après, mon époux était parti au travail....Nous avons vu un groupe de dix à quinze Mélanésiens qui passait le portail d'entrée. Ils se sont divisés et alors que je tentais de refermer ma porte, cinq ou six individus ont réussi à pénétrer dans mon domicile. Avec mon amie, nous avons essayé de parlementer. Ils nous ont aussitôt fait taire et fait asseoir au salon».

Elle esquisse ensuite une description de quatre de ses agresseurs dont, précise-t-elle, certains étaient armés de couteaux et de machettes». «Un n'était pas armé. Un autre est sorti de la cuisine après y avoir dérobé un petit couteau de cuisine et un torchon à carreaux rouges et blancs, qu'il portait sur la tête.» «Alors que nous étions gardées (…) nous avons entendu des coups de feu (…) Il me semble qu'il y a eu deux séries de coups de feu. Les premiers étaient des tirs de carabine ou de fusil. Ensuite, il y a eu des rafales. Par la suite, vers 8h30, nous avons vu arriver Mme Dujardin. Elle était affolée et nous a tout de suite dit avoir reconnu son mari allongé sur le sol et recouvert en partie d'une couverture.

«...Deux Mélanésiens d'une vingtaine d'années sont entrés dans la pièce. Ils étaient vêtus d'imperméables kaki ...et portaient sur eux des armes que je suppose être des pistolets-mitrailleurs (…) Ensuite, il y a eu des mouvements de camions puis deux Mélanésiens sont venus nous chercher et nous ont dit que nous pouvions partir avec la directrice de l'école, qui se trouvait à l'entrée de la cuisine. Lorsque nous y sommes allées, tous les Mélanésiens étaient parti.»

Laurence Grezlak, 26 ans, professeur de musique décrit avec soin quatre des Mélanésiens qui ont investi le logement des Lacroix. Mais elle n'a pas le souvenir d'autres armes qu'une machette et un couteau de cuisine. Parmi ses «gardiens», deux ne lui sont pas inconnus. Un de ses anciens élèves, «renvoyé du collège en cours d'année», en 1986 (…) Et un autre jeune, «aux cheveux blonds décolorés» (...)

Alors que le commando a vidé l'armurerie - deux autres Mélanésiens ont rejoint le groupe qui les séquestrait : «Ils étaient vêtus de pantalons de treillis et avaient le visage masqué. En outre, ils étaient armés d'un pistolet-mitrailleur chacun et l'un avait, me semble-t-il, un appareil radio genre TRPP 11».

Ces témoignages de femmes  accréditent bien l'idée d'un acte de guerre violent, avec des coups de feu et des tués, mais à aucun moment d'actes de barbarie ou de sauvagerie à l'encontre des femmes ou des enfants. Ces témoignages ont été reccueillis au lendemain de l'attaque et les politiques les connaîssaient. Les propos de Jacques Chirac relèvent bien de la manipulation pure et montrent bien que dès le début il avait intérêt à diaboliser les assaillants de la gendarmerie pour légitimer une solution violente.

En faisant un sort aux rumeurs stupides qui ont alimentées le discours politique national Je ne voudrais pas accréditer l’idée d’une attaque menée par quelques branquignoles plutôt pas méchants et sous armés. La violence de l’assaut est bien réelle et il apparaît que l’attaque parfaitement préparée a été menée avec calme et détermination. il ne faut pas oublier les gendarmes tués. J’emprunte les témoignages suivants au site inernet du GIGN qui fait parler des gendarmes présents.

http://www.gign.org/groupe-intervention/?p=2870

7h45. « Nous venons de terminer la montée des couleurs, les armes remises au râtelier et enchainées sur ordre. Seul l’armurier et le chef de détachement, avaient les clefs de l’armurerie. Le planton mobile, qui a été neutralisé tout de suite, avait quant à lui un pistolet automatique. Concernant les gendarmes départementaux, ils n’étaient que trois. Le commandant de brigade a été attaqué à l’entrée. Quatre kanaks rendent visite à la brigade de gendarmerie de Fayaoué. Trente et un gendarmes la composent, dont trois gendarmes territoriaux ainsi que vingt-huit gendarmes mobiles des escadrons de Villeneuve d’Ascq et d’Antibes. Les quatre visiteurs se rendent aussitôt dans le bureau de la brigade, ils menacent le maréchal des logis-chef et le lieutenant avec des armes blanches et leur demandent leurs armes. Dans la bagarre, le lieutenant est mortellement touché à la tête. Simultanément, une quarantaine de kanaks font irruption dans la brigade. Une fusillade éclate entre les gendarmes et les kanaks, un gendarme n’a pas le temps de s’emparer d’un Famas à l’armurerie qu’il est atteint d’une balle en plein milieu du front. Un autre gendarme tente de prendre la fuite par une fenêtre, il reçoit une balle dans le dos.

« Tout s’est joué en quelques minutes. Même si nous n’avons jamais réellement su le nombre réel d’assaillants, je dirais qu’ils étaient entre quarante et soixante kanaks. Ils s’étaient postés sur les deux cotés et l’arrière du cantonnement, planqués en grande partie derrière les bâtiments en limite de cantonnement et sur le coté. Il faut aussi avoir à l’esprit que le terrain mitoyen était très broussailleux et appartenait à une tribu loyaliste dont le fils du chef faisait partie des agresseurs, mort lors de l’assaut le 5 mai. A l’heure H, ils étaient donc tous à quelques mètres, voire quelques centimètres, de la clôture et ils connaissaient parfaitement bien les lieux. Le fait que l’adjoint du maire ait participé à l’attaque de la brigade les a certainement aidé à prendre les meilleures positions », détaille-t-il.

Dans la cour, les autres gendarmes sont déjà désarmés et mis à terre par les kanaks. « Malgré tout, un petit nombre de gendarmes, six ou sept, a pu se rendre à l’armurerie. Le lieutenant et l’adjudant-chef avaient déjà été neutralisés et l’armurier de l’escadron d’Antibes, qui avait l’autre clef, était pris à parti par les kanaks. Je ne sais pas comment, mais il est tout de même parvenu à l’armurerie. C’était peine perdue, ses collègues étaient déjà neutralisés au centre de la cour », un gendarme tente de se relever pour parlementer, il est abattu à bout portant. L’adjudant-chef  arrive alors dans la cour en déclarant « Maintenant, vous allez déposer les armes et décamper ! ». Il reçoit aussitôt une balle en pleine tête, il décédera quelques jours plus tard à l’hôpital de Sidney, en Australie.

« Alors que nous étions à terre, nous avons pu voir la majorité de nos assaillants. Certains étaient très nerveux, mais ce qui surprenait c’était le calme de quelques uns dont Dianou qui dirigeait ses hommes comme un vrai petit chef de guerre. Habillé d’un treillis kaki, l’air calme, je me souviens qu’il semblait regarder une carte. Très vite, ils nous ont embarqués dans nos véhicules TP3, nous étions menottés aux ridelles », ajoute-t-il. Les gendarmes otages sont divisés en deux groupes. Le premier, constitué de onze otages, se rend dans le sud de l’île. Le deuxième groupe, commandé par Alphonse Dianou, est emmené avec ses seize otages au nord de l’île.»

Ce réçit montre bien la détermination  des assaillants et leur violence. Ils n'hésitent pas à tuer ce qui se mettent en travers de leur route.

Une telle attaque et la prise d’otage qui a suivie nécessitait, c'est incontestable, une intervention de l’Etat, mais pas forcément en ajoutant de la violence à la violence. Malheureusement la «grande politique» et le cynisme de certains dirigeants vont instrumentaliser cet événement pour le mettre au service de leurs ambitions politiques.

3-Douze morts de moins en moins suspectes.

L’amnistie générale qui a été le corollaire des accords de Matignon, du 26 juin 1988, fait que la justice ne passera jamais et que les protagonistes vivants de ces événements resteront à jamais sur leurs certitudes ou leurs mensonges. Cependant 20 ans après les faits, Michel Rocard a confié à une émission de France culture qu’il connaissait le sort qui avait été réservé à douze des preneurs d’otage mais devait en garder le secret de peur de faire capoter les accords de Matignon.

« Ce que je savais moi, et que j’étais seul à savoir, je ne pouvais pas le dire aux autres délégations parce qu’il ne fallait pas que le secret sorte- c’est qu’il y avait aussi des officiers français… enfin, au moins un et peut-être un sous-officier, on ne sait pas très bien… A la fin de l’épisode de la grotte d’Ouvea, il y a eu des blessés kanaks et deux de ces blessés ont été achevés à coups de bottes par des militaires français, dont un officier. » Michel Rocard poursuit : « Il fallait prévoir que cela finisse par se savoir et il fallait donc prévoir que cela aussi soit garanti par l’amnistie. (…) La France a tenu sa parole. »

Ce dénouement ignominieux ne fait que renforcer le malaise sur les mauvaises raisons du recours à la violence. Plus que les non dit et les mensonges sur des exécutions sommaires de prisonniers après l’assaut qui, somme toute, sont de lamentables faits de guerre commis par des soldats qui se trouvent d’autant plus héroïques qu’on les a convaincu qu’ils ont affaire à des sauvages primitifs assoiffés de sang. Ce qui a mes yeux est le plus grave c’est que des politiciens retords engagés dans des combats politiques complètement étrangers à la Nouvelle Calédonie utilisent le mouvement de colère de populations colonisées dans une petite île du pacifique pour gagner une élection.

Le vrai combat s’est en fait déroulé entre Matignon (Jacques Chirac) et l’Elysée (François Mitterrand) et leurs proches, en France, Bernard Pons pour Chirac, Michel Rocard pour Mitterrand et sur le terrain, le Général Vidal pour Chirac et Christian Prouteau pour Mitterrand.

C’est une bataille sur le double plan de l’information et du temps qui s’est menée. L’enjeu de ce combat politique des chefs était l’utilisation ou non de la violence. La colère Kanak et trois gendarmes tués à Fayaoué était un motif suffisamment grave pour relancer le débat sur l’autorité de l’Etat à l’heure ou entre deux tours de l’élection présidentielle, Jean-Marie le Pen et son parti va en guerre jouaient à fond la carte de l’état faible, incapable de se faire respecter par une poignée de sauvages à 20000 km de chez nous.

La droite de Jacques Chirac devait donner des gages d’autorité et avait donc intérêt à la répression. La gauche de François Mitterrand , trop souvent taxée de faiblesse ou de bienveillance à l’égard des peuples colonisés, se devait aussi de se montrer ferme, mais pas obligatoirement en faisant parler les armes. Le véritable rôle de François Mitterrand dans cette affaire, qualifié de «cynique et calculateur» apparaîtra tardivement. Michel Rocard dans Le Monde du 2 sept 2011 fait état d’un plan secret «Le 4 mai au soir, la veille de l'assaut, lorsque les négociations avec les Kanaks sont terminées. A 18 heures, François Mitterrand valide le plan Pisani. Le président de la République a également donné, la veille, le 3 mai, un autre feu vert, celui-là au ministre de la défense, André Giraud, pour l'assaut armé contre la grotte. Il conserve ainsi deux fers au feu. L'Histoire retiendra qu'il a aussi voulu privilégier une solution pacifique, ce qui est vrai sur le terrain des valeurs. Michel Rocard fera l’aveu peu avant sa mort qu’il ignorait que le président de la république François Mitterrand disposait d’informations de la part de Prouteau sur la volonté de reddition des ravisseurs qui justifiaient amplement de ne pas signer l’ordre d’assaut. Michel Rocard est le seul protagoniste  à ne pas avoir joué un rôle trouble. C’est dans cette affaire et dans bien d’autres le seul homme politique respectable. Il va être avec Jean-Marie Djibaou l’un des artisans d’une paix durable en Nouvelle Calédonie.

Mitterrand avec un cynisme extraordinaire a fait porter par son adversaire de droite la décision de faire donner le feu. Ce dernier portera seul la responsabilité d’un massacre qui pèsera lourd dans sa défaite aux élections présidentielles. Alors qu ‘il disposait de tous les éléments pour faire prévaloir une réelle solution négociée. Il porte en fait plus que jacques Chirac la responsabilité de la violence.

Au départ est la colère qui engendre la violence qui elle même provoque en réponse de la violence. La violence politique est justifiée par la nécessité de l’ordre et l’ordre est un argument politique qui peut servir toutes les causes, les meilleures peut-être, les pires sans doute. L’ordre à souvent des relents fascistes d’ou la nécessite de l’assortir d’une morale. Je viens dans l’instant de comprendre le titre du film de Mathieu Kassovitz.  ?

Fucking Méditation N° 3 : Fuck la violence pour l'ordre, fuck les calculs, parole, écoute, bienveillance
 
En photo , la gendarmerie de Fayaoué, le pont de Mouli et le mémorial des 19
















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