La violence est une
composante de l'histoire de la Nouvelle Calédonie. On peut
légitimement penser qu'avant même l'arrivée de James Cook le 4
septembre 1774 à Balade, sur la côte nord ouest, les relations
entre les tribus n'étaient pas faites que de danses et d'échanges de fleurs de
tiaré.
Les explorateurs
restèrent maîtres du terrain pendant environ un demi siècle. Ils
créeront des comptoirs pour le commerce, en particulier du bois de
santal et de l'huile de Baleines.
Les missionnaires
suivirent vers 1840. Les protestants de la LMS (London missionary
society) arrivèrent les premiers dans les îles loyautés. Les
catholiques maristes suivirent de près.
Le 4 septembre 1853 Le
Contre Amiral Fébvrier Despointe prit officiellement possession de
la Nouvelle Calédonie. Bien que pouvant faire l'objet d'une
colonisation libre, c'est la colonisation pénale qui va fortement
marquer de son empreinte l'histoire calédonienne. A la violence des
bagnes dans lesquels, droit communs, politiques et rebelles algériens
subissent le même sort, vint s'ajouter la violence de
l'expropriation des populations autochtones, qui va naturellement
entraîner des révoltes (Ataï 1878) et leur répression sanglante.
Deux tiers de la population autochtone a disparu entre 1878 et 1917
(massacres et épidémies).
L'exploitation minière
est un autre fait marquant de l'histoire calédonienne, elle commence
au tournant du siècle. La SLN (société le Nickel a été créée
en 1880). La main d’œuvre est amenée en masse des Nouvelles
Hébrides (actuel Vanuatu) du Tonkin (Vietnam) du Japon et de Java
(Indonésie). Les conditions de travail particulièrement pénibles
de ces travailleurs relèvent de la quasi servitude. Violence encore
donc dans l'exploitation minière. Les descendants de ces populations
constituent aujourd'hui des communautés à part entière dans le
puzzle calédonien.
Les deux grandes guerres
européennes résonneront jusqu'en Nouvelle Calédonie. L'arrivée
des Américains à Nouméa, après l'attaque japonaise sur Pearl
Harbor, et l'installation du centre de commandement inter-alliés
marque profondément la ville. Les japonais sont alors expulsés,
nouvelle violence. Plus d'un million d'américains séjourneront sur
l'île entre 1942 et 1946. C'est l'arrivée du jazz et du coca cola.
En 1946 la colonie
devient territoire d'Outre mer. Commence alors une période de
prospérité, due au boum du nickel. Elle est marquée par l'arrivée
en masse de main d’œuvre Walisienne et Futunienne. La chute du
cours du nickel dans les années 1971 1972 entraîne une récession
et la montée des tensions entre une population autochtone devenue
minoritaire et les autres communautés. Les indépendantistes se
radicalisent et s'organisent avec la création du Front
indépendantiste d'abord puis du FLNKS (Front de Libération National
Kanak et Socialiste). Une période de troubles et d'attentats s'ouvre
qui débouchera sur le drame d'Ouvéa.
Le bagne, la dépossession
des autochtones, leur révolte et la répression sanglante,
l'exploitation des travailleurs des mines, voilà brossé à grand
trait l'histoire violente de ce territoire et des communautés qui
l'ont successivement investi.
Pourquoi Ouvéa, 132 km2,
3400 habitants, petite île, magnifique Atoll, que l'on n'hésite pas
à qualifier d'île la plus près du paradis, a t-elle été le
théâtre de la dernière grande scène de violence en Nouvelle
Calédonie. Les îles loyauté, classées réserves mélanésiennes
intégrales, n'ont pourtant pas connu de colonisation de peuplement.
Seules les missions ont marqué de leur empreinte ce territoire.
Ouvéa aujourd'hui est plutôt catholique au sud et protestante au
nord.
L'attaque le 22 avril
1988 de la gendarmerie de Fayaoué par des indépendantistes Kanaks
du FLNKS, relevait en fait d'un plan plus large qui devait
initialement concerner également Maré et Lifou. Mais seule
l'attaque de Fayaoué a finalement eu lieu.
Ces événements feront
l'objet de deux films : un documentaire de Charles Belmont en
1998 « les médiateurs du pacifique » et en 2011
« l'ordre et la morale » film de Mathieu Kassovitz, qui a
malheureusement subi un échec commercial. Le grand public en France
ignore tout de la Nouvelle Calédonie et se moque bien de ce qui s'y
passe et à plus forte raison de ce qui s'y est passé.
Le contexte en Nouvelle
Calédonie était celui d'une radicalisation des indépendantistes
avec des incendies, des pillages des embuscades et bien sur des
représailles.
Pendant les années 1970
1980 la France avait mis en place des mesures d'incitation pour
permettre aux métropolitains de s'installer en Nouvelle Calédonie
afin d'inverser le rapport numérique entre autochtones et nouveaux
arrivants métropolitains.
Le 13 septembre 1987
Jacques Chirac, premier ministre, avait organisé un référendum
(référendum Pons, nom du Ministre des territoires d'outre mer) la
question posée était : Voulez vous que la Nouvelle Calédonie
accède à l’indépendance ou demeure au sein de la République
française ?. La seule condition pour voter était trois ans de
résidence. Le référendum fut boycotté par les indépendantistes
et donna 98,3 % de voix favorables au maintien de la Nouvelle
Calédonie dans la République Française.
1987 connaît un regain
des tensions.
Parallèlement les
élections régionales en 1988 instituent un nouveau statut pour le
territoire, très controversé parce que trop défavorable aux
indépendantistes qui vont également boycotter ce scrutin
Le contexte politique
Français n'est pas moins important, sinon plus. Nous sommes entre
les deux tours des élections présidentielles de 1988 dont l'issue
est incertaine. Les électeurs du Front National sont courtisés par
la droite. Cette période apparaît le bon moment aux
indépendantistes pour faire entendre leur voie par des coups
d'éclat. La date du 22 avril est donc choisie pour occuper
plusieurs gendarmeries afin de mettre un coup de projecteur sur les
problèmes de la Nouvelle Calédonie et contraindre les candidats à
la présidentielle à prendre une position politique.
L'attaque de la
gendarmerie de Fayaoué est dirigée par un dénommé Alphonse
Dianou, responsable de la jeunesse au FLNKS. Trois gendarmes sont
tués un quatrième, grièvement blessé, décédera le lendemain. Le
poste de gendarmerie qui comptait habituellement deux gendarmes avait
été renforcé par vingt huit gendarmes mobiles, compte tenu des
tensions du moment. Comment et pourquoi ce qui devait être une
simple occupation à t-il dérapé en tuerie ? La question se
pose encore de la manière dont ont été exécutés deux des
gendarmes : arme blanche ou fusil ?
Vingt sept gendarmes sont
alors pris en otage dans deux groupes distincts. Un groupe de onze
est amené vers le sud. Ils seront libérés trois jours plus tard
sur intervention des anciens.
Les seize autres dans le groupe de Dianou sont conduits vers le nord et amenés dans une grotte de
la tribu Gossanda.
Paris dépêche sur place
le GIGN, le régiment d'infanterie et de marine du pacifique et
plusieurs autres troupes d'élite. L'île d'Ouvéa est bouclée et
déclarée zone militaire. Le général Vidal prend la direction des
opérations sur place.
Les militaires ont du mal
à repérer la grotte et doivent procéder à quelques
interrogatoires musclés pour se faire révéler sa position. Elle
est enfin repérée le 27 avril.
Le capitaine Philippe Legorjus du
GIGN accompagné du substitut au procureur de Nouméa Jean Bianconi
et de huit hommes vont parlementer avec les preneurs d'otages. Les
huit militaires sont à leur tour pris en otage et Legorjus et
Bianconi sont libérés pour servir de médiateurs.
Les preneurs d'otages
sont peu à peu lâchés par le bureau politique du FLNKS.
Legorjus explique à
Bernard Pons que l'idée d'une reddition est possible, Dianou
souhaitant sortir vivant de cette affaire avec ses camarades.
Mais Matignon aux mains
de Jacques Chirac, dans le cadre d'une cohabitation tendue, voit dans
une démonstration de force un bon moyen de séduire l'électorat
d’extrême droite et d'emporter ainsi les élections. Ces arrières
pensées électorales pèsent très lourd dans la décision. Le
point de vue du Général Vidal et le témoignage de certains
gendarmes qui font état de l'hostilité de certains preneurs d'otage
font pencher la décision vers l'intervention militaire.
Cette crise est gérée
directement par Jacques Chirac à Matignon. Le président Mitterrand
, informé par Christian Prouteau, lui même informé par Legorjus,
exprime sa réticence quant à une opération de force. Par ailleurs
certains dirigeants indépendantistes lui écrivent le 30 avril pour
lui faire part de la situation sur place. Par lettre du 1er
mai, Mitterrand demande à son premier Ministre Jacques Chirac à
être tenu informé sur la situation et souhaite la création d'une
mission de conciliation qui lui est refusée par Jacques Chirac.
Dans le même temps
Bernard Pons prépare avec le Général Vidal une libération « sans
concession » des otages.
Le 3 mai l’Élysée est
informé que les conditions météo pour mener l'opération sont
remplies, et on assure le Président qu'il y aura peu de pertes chez
les Kanaks. François Mitterrand finit donc par donner son accord et
signe l'ordre de procéder par la force à cette opération qui doit
se dérouler le 4 mai. Elle est cependant annulée sans que la
présidence en soit informée. D'après Gille Ménage Il ne sera pas,
non plus, informé quand l'assaut sera lancé.
Soixante quinze hommes y
participent et l'opération permet la libération des gendarmes pris
en otage. Deux militaires sont tués ainsi que dix neuf preneurs
d'otage. Les versions sont contradictoires sur les condition de la
mort de certains preneurs d'otages. La polémique est ouverte.
Jean-Pierre Chevènement, Ministre de la défense de Michel Rocard, reprend la version officielle de l’enquête de commandement qui conclue que aucun preneur d'otage n'a été exécuté sommairement.
La thèse selon laquelle
Legorjus aurait obtenu l'accord des preneurs d'otage de se rendre, ce
qui aurait évité un bain de sang est celle défendue par Mathieu
Kassovitz. Des considérations douteuses de politique intérieure
française en auraient décidé autrement. Par cet assaut Jacques
Chirac et Bernard Pons auraient voulu donner des gages au Front
National. Sang Kanak contre bulletins de vote diront certains. Malgré
tout, deux jours plus tard, François Mitterrand sera réélu,
Président de la République et Michel Rocard nommé Premier
Ministre.
Ce dernier constituera
une mission de dialogue chargée de renouer la discussion entre
loyalistes et indépendantistes. Cette mission débouchera sur les
accords de Matignon le 26 juin 1988. L'impérieuse nécessité de
solder les comptes entre entre les parties en présence pour engager
le processus de paix repose sur l'amnistie d'Ouvéa. Une chape de
silence est donc définitivement posée sur ce qui s'y est réellement
passé avant et pendant l'opération, laissant la place à des
considérations qui légalement ne peuvent plus être vérifiées.
Ouvéa est-il le dernier
soubresaut de Violence en Nouvelle Calédonie ? Le destin commun
et les processus mis en œuvre dans le cadre des accords de Nouméa
sont-ils une garantie suffisante contre de nouvelles flambées de
violence ? La situation est fragile Une jeunesse nouvelle, qui ne se
rattache ni aux idéaux de la tradition, représentés par les
autorité coutumières, ni à plus forte raison à ceux de la
république sont prêts à en découdre. Les camions et le matériel
minier détruits à grande échelle à Canala ces dernière semaines,
montrent bien l'envie de certains d'en découdre hors du cadre
politique tracé il y a vingt cinq ans. Ces forces incontrôlables et
incontrôlées peuvent tout faire basculer. Dans le même temps, du
côté de la métropole on voit se renforcer l'influence du Front
National et la montée en puissance d'idéaux réactionnaires .
Si en outre on prend en compte que, du fait de la vente libre des
armes, la Nouvelle Calédonie est devenue un des territoires les plus
armés, il semble que les ingrédients d'une poudrière sont encore
aujourd'hui réunis : des armes à profusion dans les familles,
des groupes d'individus incontrôlables, mais certainement soutenus
par des réseaux terroristes, et enfin des tendances réactionnaires
en progression dans la société civile.
L'année 2014 est celle
des élections provinciales, qui en mai établiront les rapports des
forces en présences pour faire progresser le processus
d'autodétermination. Les politiques qu'ils soient indépendantistes
ou favorables au maintien de la Calédonie dans la République auront
fort à faire pour tenir le cap de la paix ouvert par les accords de
Matignon et mettre en œuvre ce concept magnifique qu'est le destin
commun.
Photos musée la ville de Nouméa.
Sources wikipedia et sources orales
Sources wikipedia et sources orales
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