Dimanche, fin
d'après-midi, le soleil est revenu, radieux, après un grain
passager qui a déversé des trombes d'eau. Elsa a organisé la
visite d'une maison d'artiste dans le calme et cossu quartier de
Ouémo à Nouméa. Le vrai nom de l'artiste Richard Minniti, s'efface
derrière le titre mystérieux de « Légendes d'Arka ».
Le portail plein, flanqué de deux totems, désigne la maison.
Ce n'est pas dans un
jardin que je pénètre, c'est dans un temple. Le lieu impose le
respect, comme une chapelle, une aire coutumière, un temple
bouddhiste. Un jardin peuplé de statues, de toutes tailles, en
pierre ou en bois, dominantes ou cachées. Leurs regards en amende,
puissants, et sages convergent vers un kiosque ou deux jeunes femmes
et un homme mangent du gâteau. Ils sont beau. L'accueil est
souriant, chaleureux, apaisé, noble. Je me sens un peu comme un nain
débarquant chez les elfes.
Plus que du goût, je
sens du raffinement. La maison en bois est spacieuse et moderne,
largement ouvertes sur le jardin, un vrai jardin peuplé de
cocotiers, et de la végétation luxuriante de Calédonie, à
laquelle j'ai renoncé à donner des noms ; une pièce d'eau,
des circulations, discrètes, un beau paillage de pierres rouges,
sans doute venues du sud, un grand kiosque, une paillote, plusieurs
salons aux fauteuils et tables sculptés. L'harmonie est telle que je
ne sais pas s'il s'agit d'un jardin pour des sculptures ou des
sculptures pour un jardin, en fait je l'ai dit c'est un temple.
Quelle démarche, quelle
recherche, quel projet de vie ont t-ils conduit à la création de ce
lieu ? Qu'est ce qu'une légende ? On pourrait aussi bien
dire pays de rêves, au sens des aborigènes d'Australie. On
comprendra mieux en explorant la référence au ka. Définition de
wikipédia : « Le ka, pour les anciens Égyptiens, est
l'un des cinq éléments indissociables composant l'être de son
vivant : le double spirituel qui naît en même temps que l'humain et
qui survit après la mort. Il représente la procréation et la force
transmise d'une génération à l'autre. »
Il s'agit donc bien à
travers la sculpture de donner vie à ce double spirituel. Cette
histoire est une légende parce qu'elle s'inscrit dans l'infini du
temps, dans les millions de cycles qui permettent de perpétuer la
vie et le sens de celle-ci. Arka est bien le double spirituel de
Richard. Il va comme les aborigènes, comme les mélanésiens, comme
tous les peuples primitifs créer un art primitif, une cosmologie.
Nous avons donc bien
affaire à un art primitif et non à un art inspiré des primitifs.
On sait que André Breton et les surréalistes en général, étaient
friands d'art primitif dont ils collectionnaient les pièces. Picasso
s'en est également largement inspiré. Cet art cependant et
l'esthétique qu'il véhicule leur a servi de tremplin pour faire
avancer la peinture, la projeter vers des vois inexplorées. Il
s'agissait d'une démarche artistique, créatrices d'un art nouveau.
Avec Arka, nous sommes
dans une toute autre démarche. Arka est l'esprit primitif qui crée
l'expression de sa légende. En ce sens il s'agit donc pleinement
d'art primitif. Rencontrant une sculpture d'Arka à Canberra les
aborigènes ne s'y sont pas trompés. Ils sont venus en délégation
le rencontrer et l'ont reconnu comme un des leurs.
Cette démarche n'est ni
artificielle, ni en trompe l’œil. Arka n'a pas besoin d'abandonner
ses vêtements, de se réfugier dans le désert et de sculpter avec
des silex pour retrouver son ka. Il s'inscrit dans son temps et dans
son espace. Le temps c'est aujourd'hui, avec la technologie, le
confort, ses enjeux sociétaux et politiques. L'espace c'est sa
maison son jardin, son quartier, la Nouvelle Calédonie, la
Mélanésie.
L'espace de la légende,
son jardin, est donc un espace de vie contemporain, il reçoit des
fêtes, des manifestations, s’accommode de jeux de lumières, du
recours à la vidéo, et de musiques électroniques. Il s'agit d'un
lieu authentiquement contemporain, dont les visiteurs, ou les
« jouisseurs » perçoivent simplement l'harmonie et la
puissance.
La légende par son
expression est fortement ancrée dans l'espace mélanésien. Le Ka
est certes universel, mais il n'y a aucune raison d'aller chercher au
Tibet ou chez les indiens des plaines leurs formes d'expression.
L'espace calédonien et mélanésien est suffisamment riche
d'expression pour alimenter ce rêve.
Un art primitif
contemporain donc, mais primitif en quoi ? Parce qu'il relate
une légende. Arka est l'étape vivante d'un interminable processus
de vie.
Arka a émergé grâce à
deux maîtres qui l'ont initié au rêve, mais aussi à la technique.
Nakao et Timothée, dotés de leurs attributs ( animal totem, outils)
l'accompagnent dans plusieurs œuvres. C'est sur ce stable trépied
qu'il avance.
Ses trois enfants
l'accompagnent aussi, ils sont représentés non pas dans leur forme
physique mais dans la représentation symbolique de leur être et des
rapports qui les unissent.
Son père, plusieurs
représentation totemnique de l'autorité.
Son double féminin, sa
compagne, avec ses attributs symboliques et toteminiques.
Lui même représenté
par ses totems, entremêlés et recomposés : l'aigle, le
poisson, le serpent.
Enfin il y a toutes les
tribus des ancêtres représentées symboliquement par des losanges .
Les symboles géométriques sont bien une composante universelle des
arts primitifs. Il n'est pas étonnant, donc que l'on retrouve aussi
la spirale, symbole, universel, présent sur les pétroglyphes et
tessons de poterie Lapita de Nouvelle Calédonie.
Les sculptures sont d'une
extrême complexité, les symboles et les totems, s'entrecroisent et
se superposent pour porter la légende. Poissons, serpents, poulpes,
coquillages, s'assemblent en visages, rien n'est gratuit, tout fait
sens, tout contribue à la légende.
C'est donc Arka a et sa
tribu qui avancent dans le temps et la représentation du temps,
celui des origines, celui de la transmission, celui du devenir. Les
sculptures correspondantes sont à l'intérieur de la maison, espace
intime.
Le jardin, dehors, est le
monde des dieux et des déesses, celui des totems, celui des
gardiens.
Timéko a des racines
solides qui le rattachent à la terre.
Primeko est l'esprit,
l'aigle,
Il y a le son, porteur de
nouvelles, avec la reproduction des tambours des Vanuatu.
Il y a la
transmission des savoirs, deux personnages superposés, l'homme
et l'enfant étroitement liés par des flux de connaissance.
Il y a la voie lactée.
Seul guide des hommes, démunis de technologie, dans leurs voyages et
leurs migrations.
Il y a des dieu à
grandes coiffes qui les relient, à la magie du ciel, aux énergies
du cosmos.
Les légendes d'Arka ont
donc leur cosmologie, ou figurent des dieux et déesses qui lui sont
propres, en particulier la grande déesse hiératique, née d'un
vieil arbre de Magenta (aéroport de Nouméa) et le personnage
méditant de pierre face à la pièce d'eau (mon coup de cœur).
Leurs regards sont paisibles, leurs expressions puissantes. Pour moi
ils sont les maîtres du jardin. Les gardiens ultimes. Ils sont ce
qu'il y a de plus personnel dans la légende.
L'art n'habite pas
seulement les sculptures achevées, il habite aussi celles en
gestation ; l'arbre soigneusement enveloppé d'un manou, aux
plis ajustés pour préfigurer l'oeuvre future entre déjà dans la
légende.
Bien sur, chaque
sculpture a son sens et son esthétique propre, mais chacune
contribue à l'écriture de la légende. Dix sept ans de création
pour construire un ensemble cohérent ; le pays du verbe !
C'est cette cohérence qui donne au jardin le sentiment de sacré qui
s'en dégage. De cet ensemble, rien n'est séparable. Vendre ou céder
un objet équivaudrait à arracher une page à un livre. En allant
puiser ses représentations aux racines de l'humanité l'art primitif
relève du sacré. L'esthétique ne vient qu'en second.
Un bas relief horizontal
résume le message général du ka : A l'origine, la terre, les
racines, le souffle ancestral, ensuite l'art du ka avec le nom, enfin, de
l'arbre, qui apporte la sagesse et le respect de la nature qui amène
l'esprit de notre énergie vitale.
L'art primitif ne se
nourrit pas d'une volonté ou d'une démarche artistique ; il se
nourrit du lâcher prise, laisser monter, laisser venir l'image, du
fond de soi, du fond des temps, du temps des rêves. Il n'y a pas
d'inspiration au sens artistique du terme, l'artiste est porté, il
est un passeur, un réceptacle, un intermédiaire.
Arrive la dernière
pièce, elle tient au creux de la main, lourde, mais lisse, lourde,
mais ronde, elle symbolise la grandeur du ka, l’œuf, le totem du
jour.
Je n'ai pas assez de
mémoire, ni suffisamment de compréhension pour relater justement
les riches explications dont s'est accompagnée la découverte de
chaque sculpture. Le soleil, sorti du jardin, a fini de jouer avec
les dieux, les déesses et les feuillages. Je viens de vivre un
moment de découverte et d'intense émotion. Derrière le portail
refermé, je retrouve le nain qui est rentré, ancré à la terre,
dont les ailes trop faibles, comme celles d'un cagou, l'empêchent de
voler. Il me reste du chemin avant d'apprendre le lâcher prise.
Pendant ce temps dans le
jardin des elfes doux et majestueux mangent des tranches de gâteau,
sous la regard en amende de leurs gardiens. Le sens de tout ce
travail réside dans ce moment de paix.
Super le texte sur les légendes d'Arka... Moi aussi je capte mieux
RépondreSupprimerdu coup! merci