Cassy à 5 ans aujourd'hui 4 février
2014. Je lui dédie ce texte.
Dans ce troisième et
dernier texte, en rapport avec cassy il ne sera plus directement
question d'elle. Il ne s'agit pas d'un témoignage mais d'une
réflexion sur l'humanité.
La sérénité et la
détermination des parents, les trésors de patience et d'amour
qu'ils développent, alors qu'il leur arrive un grand malheur, le
plus grand sans doute, amène à s'interroger sur la question de
l'humanité. Le contact avec un enfant handicapé enrichit-il l'homme
ou la femme qui y sont confrontés ?
Respecter ou ne pas
respecter la dignité d'un enfant handicapé reconnaître ou ne pas
reconnaître son humanité revient soit à s'enrichir et à devenir
meilleur, soit à mettre un pied en dehors de sa propre humanité.
Plus qu'une
maladie le syndrome de Rett est un état. Certes évolutives,
les limites des capacités physiques et mentales sont
définitivement posées. Les progrès sont possibles mais
irrémédiablement voués à des régressions.
Bien qu'il ne se
déplace pas ou mal, ne parle pas ou peu, ne travaille pas,
ne crée pas, ne pense pas, (enfin au sens commun) l’humanité
d'un enfant handicapé est incontestable, mais ses capacités
sont si limitées que son maintien en vie nécessite une
assistance assidue, permanente et durable. Rien à voir avec
un bébé qui progresse chaque jour et gratifie ses parents de
mille signes de reconnaissance.
La dépendance
met à l'épreuve l'humanité de ceux qui, par le lien
familial, sont contraints d'assurer en totalité ou en partie,
les soins de leur enfant, afin qu'il souffre le moins possible
et qu'il continue à vivre. L'humanité des parents d'enfants
handicapés est mise à l'épreuve parce qu'ils n'ont pas
d'autres choix. Que peuvent-ils faire ?
S’effondrer,
bien sur, comment ne pas s'effondrer ? Mais il faut bien
se relever.
Ne pas assumer :
fuir, se désintéresser du problèmes ? C'est
malheureusement le cas de certains pères ou de grands
parents. Piètre humanité que la leur.
Nier: Faire
comme si ce n'était pas vrai, que les choses vont s'arranger.
Il y a toujours, au début, une part de déni, en effet il est
difficile de croire, comme ça, d'emblée, à un tableau aussi sombre. Il s'agit d'une protection temporaire mais
l'acceptation vient à son heure.
Le drame est tel
et ses conséquences si difficiles à concevoir que
l'acceptation vient progressivement, mais l'acceptation est
inévitable. Il s'agit de penser enfin ce drame, non comme une
injustice ou une épreuve, mais comme une donnée imprévisible
de la vie qui nécessite de s'organiser et de redonner un
sens à son existence, de réviser les rapports familiaux,
lorsqu'il y a des frères et des sœurs, et pour tous de
retrouver la joie.
L'acceptation ne
peut pas être fataliste. Ce n'est pas un malheur accepté
parce qu'il est inévitable. L'acceptation est positive.
C'est l'enfant qui l'impose, à travers les instincts
d'attachement qu'il déclenche. Je dirais même que
l'acceptation est heureuse. Pour les contraintes on
s'organise, pour le reste on explore, on découvre, on crée
un langage on s'attache.
La communication
entre l'enfant et son entourage s'établit, on l'a dit, sur
des bases intuitives et affectives à travers, des gestes et
des mimiques, toujours renouvelés, souvent improvisés. De
cet effort incessant d'écoute, de compréhension, de
satisfaction des désirs, naît souvent une relation
fusionnelle, mais tendue et épuisante. Il n'y a
communication, au sens de compréhension mutuelle entre deux
humains, que parce qu'il y a des codes d'écoute et
d’attitudes, et c'est pour ça qu'elle n'est accessible
qu'aux proches. Il n'y a qu'eux qui savent reconnaître et
créer des signes quasi ex-nihilo, parce qu'ils aiment.
Effectivement on part de rien, le rapport humain est à
inventer.
C'est pour cet
effort permanent, à la fois matériel, affectif et de
communication, cette création quotidienne des conditions de
bien vivre pour un enfant tellement différent des autres que
l'on peut créditer les parents d'enfants handicapés, d'une
expérience humaine hors du commun, on peut vraiment dire d'un
supplément d'humanité.
Beaucoup de
parents soulignent d'ailleurs la richesse de cette expérience
et sont convaincus qu'elle les a rendus meilleurs, plus aptes
à l'écoute, plus compréhensifs, en fait plus humains.
Ils ont bien
besoin de ce supplément d'âme pour faire face à
l'incompréhension souvent bienveillante, mais trop souvent
maladroite, de l'entourage et des étrangers. Des personnes
étrangères peuvent se demander comment on peut aimer un
enfant bourré de tics, qui bave, incapable de se mouvoir,
quelquefois difforme. Cette image, pour eux est celle du
malheur à l'état pur, ils ne connaissent donc que le
registre de la compassion. Or la compassion renvoie au malheur
et les parents n'en veulent pas, ils veulent du bonheur. C'est
de compréhension et surtout d'aide dont ils ont besoin.
Quand je dis
compréhension, ce n'est pas « oui je comprends que tu
es malheureux parce que ta vie est gâchée. » Non c'est
« je comprends que tu aimes cet enfant et d'ailleurs je
l'aime aussi, je comprends que tu as plein de contraintes que
je n'ai pas, que tu voudrais bien sortir plus souvent, passer
un moment en amoureux avec ta femme (ton mari), que tu es
blessé si on t'oublie pour une fête ou un Week-end entre
ami... »
Ils ont besoin
d'aide parce que leur vie est épuisante. Épuisante
physiquement, mais aussi nerveusement et affectivement, parce
que pour eux chaque jour est fait d'urgences et de risques,
qu'il faut en permanence s'adapter et inventer. Leur vie est
trop intense. L'enfant handicapé occupe dans leurs pensées
une place disproportionnée. C'est pour cela qu'ils ont besoin
de relâcher, de se détendre, de sortir, de se mettre en
vacance de leur enfant, de le sortir un peu de leur tête.
Pour cela il y a les institutions, bien sur, mais pourquoi pas
aussi, la famille, les amis ! Une soirée de garde, pour
permettre une sortie au cinéma, au théâtre ou au
restaurant, vaut bien plus que dix « mes pauvres, comme
je vous plains ! »
Bien évidement,
on peut créditer les parents d'enfants handicapés, d'un
supplément d'humanité, mais être super man ou super woman
au quotidien a un prix, celui de la fatigue. Vivre cela est
effectivement une expérience humaine totalement nouvelle et
d'une intensité inouïe. Mais trop intense, nerveusement
épuisante. En les aidant un peu on se donne l'occasion de
vivre, en miniature bien sur, une expérience enrichissante et
on gagne, soit même, un tout petit peu, en humanité.
L'intensité de cette expérience m'a surpris.
Je ne veux là,
bien sur, donner de leçons à personne et ce n'est pas un
appel du pied. Je vois bien que les vrais amis sont sur le bon
registre, ni compassionnels, ni indifférents, mais naturels
avec les parents, affectueux avec l'enfant. Les parents, par
pudeur, minimisent un peu leurs difficultés et leurs
tensions, surtout à des moments symboliques comme un
anniversaire. Je veux simplement dire que tout ça est
délicat, toujours sur le fil du rasoir.
Effectivement on
est au cœur de l'humain.
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