vendredi 7 février 2014

Les légendes d'Arka


Dimanche, fin d'après-midi, le soleil est revenu, radieux, après un grain passager qui a déversé des trombes d'eau. Elsa a organisé la visite d'une maison d'artiste dans le calme et cossu quartier de Ouémo à Nouméa. Le vrai nom de l'artiste Richard Minniti, s'efface derrière le titre mystérieux de « Légendes d'Arka ». Le portail plein, flanqué de deux totems, désigne la maison.

Ce n'est pas dans un jardin que je pénètre, c'est dans un temple. Le lieu impose le respect, comme une chapelle, une aire coutumière, un temple bouddhiste. Un jardin peuplé de statues, de toutes tailles, en pierre ou en bois, dominantes ou cachées. Leurs regards en amende, puissants, et sages convergent vers un kiosque ou deux jeunes femmes et un homme mangent du gâteau. Ils sont beau. L'accueil est souriant, chaleureux, apaisé, noble. Je me sens un peu comme un nain débarquant chez les elfes.

Plus que du goût, je sens du raffinement. La maison en bois est spacieuse et moderne, largement ouvertes sur le jardin, un vrai jardin peuplé de cocotiers, et de la végétation luxuriante de Calédonie, à laquelle j'ai renoncé à donner des noms ; une pièce d'eau, des circulations, discrètes, un beau paillage de pierres rouges, sans doute venues du sud, un grand kiosque, une paillote, plusieurs salons aux fauteuils et tables sculptés. L'harmonie est telle que je ne sais pas s'il s'agit d'un jardin pour des sculptures ou des sculptures pour un jardin, en fait je l'ai dit c'est un temple.

Quelle démarche, quelle recherche, quel projet de vie ont t-ils conduit à la création de ce lieu ? Qu'est ce qu'une légende ? On pourrait aussi bien dire pays de rêves, au sens des aborigènes d'Australie. On comprendra mieux en explorant la référence au ka. Définition de wikipédia : « Le ka, pour les anciens Égyptiens, est l'un des cinq éléments indissociables composant l'être de son vivant : le double spirituel qui naît en même temps que l'humain et qui survit après la mort. Il représente la procréation et la force transmise d'une génération à l'autre. »

Il s'agit donc bien à travers la sculpture de donner vie à ce double spirituel. Cette histoire est une légende parce qu'elle s'inscrit dans l'infini du temps, dans les millions de cycles qui permettent de perpétuer la vie et le sens de celle-ci. Arka est bien le double spirituel de Richard. Il va comme les aborigènes, comme les mélanésiens, comme tous les peuples primitifs créer un art primitif, une cosmologie.

Nous avons donc bien affaire à un art primitif et non à un art inspiré des primitifs. On sait que André Breton et les surréalistes en général, étaient friands d'art primitif dont ils collectionnaient les pièces. Picasso s'en est également largement inspiré. Cet art cependant et l'esthétique qu'il véhicule leur a servi de tremplin pour faire avancer la peinture, la projeter vers des vois inexplorées. Il s'agissait d'une démarche artistique, créatrices d'un art nouveau.

Avec Arka, nous sommes dans une toute autre démarche. Arka est l'esprit primitif qui crée l'expression de sa légende. En ce sens il s'agit donc pleinement d'art primitif. Rencontrant une sculpture d'Arka à Canberra les aborigènes ne s'y sont pas trompés. Ils sont venus en délégation le rencontrer et l'ont reconnu comme un des leurs.

Cette démarche n'est ni artificielle, ni en trompe l’œil. Arka n'a pas besoin d'abandonner ses vêtements, de se réfugier dans le désert et de sculpter avec des silex pour retrouver son ka. Il s'inscrit dans son temps et dans son espace. Le temps c'est aujourd'hui, avec la technologie, le confort, ses enjeux sociétaux et politiques. L'espace c'est sa maison son jardin, son quartier, la Nouvelle Calédonie, la Mélanésie.

L'espace de la légende, son jardin, est donc un espace de vie contemporain, il reçoit des fêtes, des manifestations, s’accommode de jeux de lumières, du recours à la vidéo, et de musiques électroniques. Il s'agit d'un lieu authentiquement contemporain, dont les visiteurs, ou les « jouisseurs » perçoivent simplement l'harmonie et la puissance.

La légende par son expression est fortement ancrée dans l'espace mélanésien. Le Ka est certes universel, mais il n'y a aucune raison d'aller chercher au Tibet ou chez les indiens des plaines leurs formes d'expression. L'espace calédonien et mélanésien est suffisamment riche d'expression pour alimenter ce rêve.

Un art primitif contemporain donc, mais primitif en quoi ? Parce qu'il relate une légende. Arka est l'étape vivante d'un interminable processus de vie.

Arka a émergé grâce à deux maîtres qui l'ont initié au rêve, mais aussi à la technique. Nakao et Timothée, dotés de leurs attributs ( animal totem, outils) l'accompagnent dans plusieurs œuvres. C'est sur ce stable trépied qu'il avance.


Ses trois enfants l'accompagnent aussi, ils sont représentés non pas dans leur forme physique mais dans la représentation symbolique de leur être et des rapports qui les unissent.


Son père, plusieurs représentation totemnique de l'autorité.


Son double féminin, sa compagne, avec ses attributs symboliques et toteminiques.



Lui même représenté par ses totems, entremêlés et recomposés : l'aigle, le poisson, le serpent.

Enfin il y a toutes les tribus des ancêtres représentées symboliquement par des losanges . Les symboles géométriques sont bien une composante universelle des arts primitifs. Il n'est pas étonnant, donc que l'on retrouve aussi la spirale, symbole, universel, présent sur les pétroglyphes et tessons de poterie Lapita de Nouvelle Calédonie.

Les sculptures sont d'une extrême complexité, les symboles et les totems, s'entrecroisent et se superposent pour porter la légende. Poissons, serpents, poulpes, coquillages, s'assemblent en visages, rien n'est gratuit, tout fait sens, tout contribue à la légende.

C'est donc Arka a et sa tribu qui avancent dans le temps et la représentation du temps, celui des origines, celui de la transmission, celui du devenir. Les sculptures correspondantes sont à l'intérieur de la maison, espace intime.

Le jardin, dehors, est le monde des dieux et des déesses, celui des totems, celui des gardiens.

Timéko a des racines solides qui le rattachent à la terre.


Primeko est l'esprit, l'aigle,


Il y a le son, porteur de nouvelles, avec la reproduction des tambours des Vanuatu.



Il y a la transmission des savoirs, deux personnages superposés, l'homme et l'enfant étroitement liés par des flux de connaissance.



Il y a la voie lactée. Seul guide des hommes, démunis de technologie, dans leurs voyages et leurs migrations.


Il y a le soleil et son éternel retour.

Il y a des dieu à grandes coiffes qui les relient, à la magie du ciel, aux énergies du cosmos.


Les légendes d'Arka ont donc leur cosmologie, ou figurent des dieux et déesses qui lui sont propres, en particulier la grande déesse hiératique, née d'un vieil arbre de Magenta (aéroport de Nouméa) et le personnage méditant de pierre face à la pièce d'eau (mon coup de cœur). Leurs regards sont paisibles, leurs expressions puissantes. Pour moi ils sont les maîtres du jardin. Les gardiens ultimes. Ils sont ce qu'il y a de plus personnel dans la légende.





L'art n'habite pas seulement les sculptures achevées, il habite aussi celles en gestation ; l'arbre soigneusement enveloppé d'un manou, aux plis ajustés pour préfigurer l'oeuvre future entre déjà dans la légende.


Bien sur, chaque sculpture a son sens et son esthétique propre, mais chacune contribue à l'écriture de la légende. Dix sept ans de création pour construire un ensemble cohérent ; le pays du verbe ! C'est cette cohérence qui donne au jardin le sentiment de sacré qui s'en dégage. De cet ensemble, rien n'est séparable. Vendre ou céder un objet équivaudrait à arracher une page à un livre. En allant puiser ses représentations aux racines de l'humanité l'art primitif relève du sacré. L'esthétique ne vient qu'en second.

Un bas relief horizontal résume le message général du ka : A l'origine, la terre, les racines, le souffle ancestral, ensuite l'art du ka avec le nom, enfin, de l'arbre, qui apporte la sagesse et le respect de la nature qui amène l'esprit de notre énergie vitale.

L'art primitif ne se nourrit pas d'une volonté ou d'une démarche artistique ; il se nourrit du lâcher prise, laisser monter, laisser venir l'image, du fond de soi, du fond des temps, du temps des rêves. Il n'y a pas d'inspiration au sens artistique du terme, l'artiste est porté, il est un passeur, un réceptacle, un intermédiaire.

Arrive la dernière pièce, elle tient au creux de la main, lourde, mais lisse, lourde, mais ronde, elle symbolise la grandeur du ka, l’œuf, le totem du jour.



Je n'ai pas assez de mémoire, ni suffisamment de compréhension pour relater justement les riches explications dont s'est accompagnée la découverte de chaque sculpture. Le soleil, sorti du jardin, a fini de jouer avec les dieux, les déesses et les feuillages. Je viens de vivre un moment de découverte et d'intense émotion. Derrière le portail refermé, je retrouve le nain qui est rentré, ancré à la terre, dont les ailes trop faibles, comme celles d'un cagou, l'empêchent de voler. Il me reste du chemin avant d'apprendre le lâcher prise.

Pendant ce temps dans le jardin des elfes doux et majestueux mangent des tranches de gâteau, sous la regard en amende de leurs gardiens. Le sens de tout ce travail réside dans ce moment de paix.







1 commentaire:

  1. Super le texte sur les légendes d'Arka... Moi aussi je capte mieux
    du coup! merci

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