dimanche 16 février 2014

Ouvéa : dernières violences ?


La violence est une composante de l'histoire de la Nouvelle Calédonie. On peut légitimement penser qu'avant même l'arrivée de James Cook le 4 septembre 1774 à Balade, sur la côte nord ouest, les relations entre les tribus n'étaient pas faites que de danses et d'échanges de fleurs de tiaré.

Les explorateurs restèrent maîtres du terrain pendant environ un demi siècle. Ils créeront des comptoirs pour le commerce, en particulier du bois de santal et de l'huile de Baleines.

Les missionnaires suivirent vers 1840. Les protestants de la LMS (London missionary society) arrivèrent les premiers dans les îles loyautés. Les catholiques maristes suivirent de près.


Le 4 septembre 1853 Le Contre Amiral Fébvrier Despointe prit officiellement possession de la Nouvelle Calédonie. Bien que pouvant faire l'objet d'une colonisation libre, c'est la colonisation pénale qui va fortement marquer de son empreinte l'histoire calédonienne. A la violence des bagnes dans lesquels, droit communs, politiques et rebelles algériens subissent le même sort, vint s'ajouter la violence de l'expropriation des populations autochtones, qui va naturellement entraîner des révoltes (Ataï 1878) et leur répression sanglante. Deux tiers de la population autochtone a disparu entre 1878 et 1917 (massacres et épidémies).


L'exploitation minière est un autre fait marquant de l'histoire calédonienne, elle commence au tournant du siècle. La SLN (société le Nickel a été créée en 1880). La main d’œuvre est amenée en masse des Nouvelles Hébrides (actuel Vanuatu) du Tonkin (Vietnam) du Japon et de Java (Indonésie). Les conditions de travail particulièrement pénibles de ces travailleurs relèvent de la quasi servitude. Violence encore donc dans l'exploitation minière. Les descendants de ces populations constituent aujourd'hui des communautés à part entière dans le puzzle calédonien.




Les deux grandes guerres européennes résonneront jusqu'en Nouvelle Calédonie. L'arrivée des Américains à Nouméa, après l'attaque japonaise sur Pearl Harbor, et l'installation du centre de commandement inter-alliés marque profondément la ville. Les japonais sont alors expulsés, nouvelle violence. Plus d'un million d'américains séjourneront sur l'île entre 1942 et 1946. C'est l'arrivée du jazz et du coca cola.








En 1946 la colonie devient territoire d'Outre mer. Commence alors une période de prospérité, due au boum du nickel. Elle est marquée par l'arrivée en masse de main d’œuvre Walisienne et Futunienne. La chute du cours du nickel dans les années 1971 1972 entraîne une récession et la montée des tensions entre une population autochtone devenue minoritaire et les autres communautés. Les indépendantistes se radicalisent et s'organisent avec la création du Front indépendantiste d'abord puis du FLNKS (Front de Libération National Kanak et Socialiste). Une période de troubles et d'attentats s'ouvre qui débouchera sur le drame d'Ouvéa.

Le bagne, la dépossession des autochtones, leur révolte et la répression sanglante, l'exploitation des travailleurs des mines, voilà brossé à grand trait l'histoire violente de ce territoire et des communautés qui l'ont successivement investi.

Pourquoi Ouvéa, 132 km2, 3400 habitants, petite île, magnifique Atoll, que l'on n'hésite pas à qualifier d'île la plus près du paradis, a t-elle été le théâtre de la dernière grande scène de violence en Nouvelle Calédonie. Les îles loyauté, classées réserves mélanésiennes intégrales, n'ont pourtant pas connu de colonisation de peuplement. Seules les missions ont marqué de leur empreinte ce territoire. Ouvéa aujourd'hui est plutôt catholique au sud et protestante au nord.

L'attaque le 22 avril 1988 de la gendarmerie de Fayaoué par des indépendantistes Kanaks du FLNKS, relevait en fait d'un plan plus large qui devait initialement concerner également Maré et Lifou. Mais seule l'attaque de Fayaoué a finalement eu lieu.

Ces événements feront l'objet de deux films : un documentaire de Charles Belmont en 1998 « les médiateurs du pacifique » et en 2011 « l'ordre et la morale » film de Mathieu Kassovitz, qui a malheureusement subi un échec commercial. Le grand public en France ignore tout de la Nouvelle Calédonie et se moque bien de ce qui s'y passe et à plus forte raison de ce qui s'y est passé.

Le contexte en Nouvelle Calédonie était celui d'une radicalisation des indépendantistes avec des incendies, des pillages des embuscades et bien sur des représailles.

Pendant les années 1970 1980 la France avait mis en place des mesures d'incitation pour permettre aux métropolitains de s'installer en Nouvelle Calédonie afin d'inverser le rapport numérique entre autochtones et nouveaux arrivants métropolitains.

Le 13 septembre 1987 Jacques Chirac, premier ministre, avait organisé un référendum (référendum Pons, nom du Ministre des territoires d'outre mer) la question posée était : Voulez vous que la Nouvelle Calédonie accède à l’indépendance ou demeure au sein de la République française ?. La seule condition pour voter était trois ans de résidence. Le référendum fut boycotté par les indépendantistes et donna 98,3 % de voix favorables au maintien de la Nouvelle Calédonie dans la République Française.

1987 connaît un regain des tensions.

Parallèlement les élections régionales en 1988 instituent un nouveau statut pour le territoire, très controversé parce que trop défavorable aux indépendantistes qui vont également boycotter ce scrutin

Le contexte politique Français n'est pas moins important, sinon plus. Nous sommes entre les deux tours des élections présidentielles de 1988 dont l'issue est incertaine. Les électeurs du Front National sont courtisés par la droite. Cette période apparaît le bon moment aux indépendantistes pour faire entendre leur voie par des coups d'éclat. La date du 22 avril est donc choisie pour occuper plusieurs gendarmeries afin de mettre un coup de projecteur sur les problèmes de la Nouvelle Calédonie et contraindre les candidats à la présidentielle à prendre une position politique.

L'attaque de la gendarmerie de Fayaoué est dirigée par un dénommé Alphonse Dianou, responsable de la jeunesse au FLNKS. Trois gendarmes sont tués un quatrième, grièvement blessé, décédera le lendemain. Le poste de gendarmerie qui comptait habituellement deux gendarmes avait été renforcé par vingt huit gendarmes mobiles, compte tenu des tensions du moment. Comment et pourquoi ce qui devait être une simple occupation à t-il dérapé en tuerie ? La question se pose encore de la manière dont ont été exécutés deux des gendarmes : arme blanche ou fusil ?

Vingt sept gendarmes sont alors pris en otage dans deux groupes distincts. Un groupe de onze est amené vers le sud. Ils seront libérés trois jours plus tard sur intervention des anciens.

Les seize autres dans le groupe de Dianou sont conduits vers le nord et amenés dans une grotte de la tribu Gossanda.

Paris dépêche sur place le GIGN, le régiment d'infanterie et de marine du pacifique et plusieurs autres troupes d'élite. L'île d'Ouvéa est bouclée et déclarée zone militaire. Le général Vidal prend la direction des opérations sur place.

Les militaires ont du mal à repérer la grotte et doivent procéder à quelques interrogatoires musclés pour se faire révéler sa position. Elle est enfin repérée le 27 avril.

Le capitaine Philippe Legorjus du GIGN accompagné du substitut au procureur de Nouméa Jean Bianconi et de huit hommes vont parlementer avec les preneurs d'otages. Les huit militaires sont à leur tour pris en otage et Legorjus et Bianconi sont libérés pour servir de médiateurs.

Les preneurs d'otages sont peu à peu lâchés par le bureau politique du FLNKS.

Legorjus explique à Bernard Pons que l'idée d'une reddition est possible, Dianou souhaitant sortir vivant de cette affaire avec ses camarades.

Mais Matignon aux mains de Jacques Chirac, dans le cadre d'une cohabitation tendue, voit dans une démonstration de force un bon moyen de séduire l'électorat d’extrême droite et d'emporter ainsi les élections. Ces arrières pensées électorales pèsent très lourd dans la décision. Le point de vue du Général Vidal et le témoignage de certains gendarmes qui font état de l'hostilité de certains preneurs d'otage font pencher la décision vers l'intervention militaire.

Cette crise est gérée directement par Jacques Chirac à Matignon. Le président Mitterrand , informé par Christian Prouteau, lui même informé par Legorjus, exprime sa réticence quant à une opération de force. Par ailleurs certains dirigeants indépendantistes lui écrivent le 30 avril pour lui faire part de la situation sur place. Par lettre du 1er mai, Mitterrand demande à son premier Ministre Jacques Chirac à être tenu informé sur la situation et souhaite la création d'une mission de conciliation qui lui est refusée par Jacques Chirac.

Dans le même temps Bernard Pons prépare avec le Général Vidal une libération « sans concession » des otages.

Le 3 mai l’Élysée est informé que les conditions météo pour mener l'opération sont remplies, et on assure le Président qu'il y aura peu de pertes chez les Kanaks. François Mitterrand finit donc par donner son accord et signe l'ordre de procéder par la force à cette opération qui doit se dérouler le 4 mai. Elle est cependant annulée sans que la présidence en soit informée. D'après Gille Ménage Il ne sera pas, non plus, informé quand l'assaut sera lancé.

Soixante quinze hommes y participent et l'opération permet la libération des gendarmes pris en otage. Deux militaires sont tués ainsi que dix neuf preneurs d'otage. Les versions sont contradictoires sur les condition de la mort de certains preneurs d'otages. La polémique est ouverte.

Jean-Pierre Chevènement, Ministre de la défense de Michel Rocard, reprend la version officielle de l’enquête de commandement qui conclue que aucun preneur d'otage n'a été exécuté sommairement.

La thèse selon laquelle Legorjus aurait obtenu l'accord des preneurs d'otage de se rendre, ce qui aurait évité un bain de sang est celle défendue par Mathieu Kassovitz. Des considérations douteuses de politique intérieure française en auraient décidé autrement. Par cet assaut Jacques Chirac et Bernard Pons auraient voulu donner des gages au Front National. Sang Kanak contre bulletins de vote diront certains. Malgré tout, deux jours plus tard, François Mitterrand sera réélu, Président de la République et Michel Rocard nommé Premier Ministre.

Ce dernier constituera une mission de dialogue chargée de renouer la discussion entre loyalistes et indépendantistes. Cette mission débouchera sur les accords de Matignon le 26 juin 1988. L'impérieuse nécessité de solder les comptes entre entre les parties en présence pour engager le processus de paix repose sur l'amnistie d'Ouvéa. Une chape de silence est donc définitivement posée sur ce qui s'y est réellement passé avant et pendant l'opération, laissant la place à des considérations qui légalement ne peuvent plus être vérifiées.

Ouvéa est-il le dernier soubresaut de Violence en Nouvelle Calédonie ? Le destin commun et les processus mis en œuvre dans le cadre des accords de Nouméa sont-ils une garantie suffisante contre de nouvelles flambées de violence ? La situation est fragile Une jeunesse nouvelle, qui ne se rattache ni aux idéaux de la tradition, représentés par les autorité coutumières, ni à plus forte raison à ceux de la république sont prêts à en découdre. Les camions et le matériel minier détruits à grande échelle à Canala ces dernière semaines, montrent bien l'envie de certains d'en découdre hors du cadre politique tracé il y a vingt cinq ans. Ces forces incontrôlables et incontrôlées peuvent tout faire basculer. Dans le même temps, du côté de la métropole on voit se renforcer l'influence du Front National et la montée en puissance d'idéaux réactionnaires . Si en outre on prend en compte que, du fait de la vente libre des armes, la Nouvelle Calédonie est devenue un des territoires les plus armés, il semble que les ingrédients d'une poudrière sont encore aujourd'hui réunis : des armes à profusion dans les familles, des groupes d'individus incontrôlables, mais certainement soutenus par des réseaux terroristes, et enfin des tendances réactionnaires en progression dans la société civile.

L'année 2014 est celle des élections provinciales, qui en mai établiront les rapports des forces en présences pour faire progresser le processus d'autodétermination. Les politiques qu'ils soient indépendantistes ou favorables au maintien de la Calédonie dans la République auront fort à faire pour tenir le cap de la paix ouvert par les accords de Matignon et mettre en œuvre ce concept magnifique qu'est le destin commun.

Photos musée la ville de Nouméa.

Sources wikipedia et sources orales

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